Des bactéries contrôlées par ultrasons éliminent des tumeurs cancéreuses
Les ondes ultrasonores, des ondes acoustiques dont les fréquences s’étendent au-delà de la gamme de l’audition humaine, ont déjà été utilisées pour traiter des cellules cancéreuses avec des résultats positifs. Mais il s’agit d’une approche générale dans laquelle des rafales d’ultrasons de haute intensité chauffent les tissus, tuant à la fois les cellules cancéreuses et normales dans la zone ciblée. Des chercheurs du California Institute of Technology (Caltech) ont trouvé une meilleure façon d’utiliser les ultrasons pour rechercher et détruire les tumeurs tout en préservant les tissus sains. Ils y sont parvenus avec l’aide d’un allié improbable : une bactérie.
Image d’entête : représentation artistique d’une cellule bactérienne Escherichia coli. (Centers for Disease Control and Prevention/ James Archer)
Bien que les bactéries jouent un rôle majeur dans le maintien de notre santé, en particulier celles qui colonisent naturellement nos intestins, ces micro-organismes ont généralement la mauvaise réputation de provoquer des infections et des maladies potentiellement mortelles. L’idée que des bactéries puissent être exploitées pour venir à bout d’un cancer peut sembler farfelue. Il peut donc être surprenant d’apprendre que cette idée a au moins 100 ans.
Au cours du 19e siècle, le chirurgien américain William Coley fut le premier à observer des patients chez qui des colonies bactériennes proches de leurs tumeurs avaient un effet anticancéreux. Plus récemment, des scientifiques ont découvert que lorsque certaines bactéries sont injectées dans la circulation sanguine, elles sont rapidement éliminées par le système immunitaire, sauf dans les zones où se trouvent des tumeurs. En effet, le cancer est connu pour affaiblir le système immunitaire et désactiver ses défenses afin de se protéger.
Cherchant à tirer parti de cette étrange relation entre certaines bactéries et les cellules cancéreuses, les chercheurs ont proposé toutes sortes de thérapies. L’une d’elles consisterait à administrer des médicaments de chimiothérapie directement aux cellules cancéreuses par l’intermédiaire de bactéries. Mais le problème est que cette approche globale nuit également aux cellules saines.
Des chercheurs de Caltech, dirigés par le biochimiste Mikhail Shapiro, ont imaginé un moyen astucieux de tirer parti des propriétés anticancéreuses des bactéries. Ils ont génétiquement modifié la bactérie commune Escherichia coli pour qu’elle puisse supporter des pics de température engendrés par des ultrasons. Lorsque la température de la bactérie atteint environ 42-43 °C, une paire de gènes exprime des molécules anticancéreuses semblables aux anticorps du système immunitaire qui désactivent les protéines favorisant la prolifération des cellules cancéreuses. La température du corps humain étant d’environ 37 °C, les souches modifiées ne commencent pas à libérer leurs nanocorps anti-tumoraux lorsqu’elles sont initialement injectées à une personne.
Selon Shapiro :
L’objectif de cette technologie est de tirer parti de la capacité des probiotiques modifiés à s’infiltrer dans les tumeurs, tout en utilisant les ultrasons pour les activer et libérer des médicaments puissants à l’intérieur de la tumeur.
Selon Mohamad Abedi, qui a codirigé le projet :
Les ultrasons focalisés nous ont permis d’activer la thérapie de manière spécifique à l’intérieur de la tumeur. C’est important car ces médicaments puissants, qui sont si utiles dans le traitement des tumeurs, peuvent provoquer des effets secondaires importants dans d’autres organes où nos agents bactériens peuvent également être présents.
Au cours d’une expérience, des souris immunodéprimées atteintes d’un lymphome non hodgkinien ont été infectées par l’E. coli modifié, puis des rafales d’ultrasons ont été focalisées sur les sites tumoraux. Les chercheurs ont remarqué que les tumeurs ont cessé de croître et ont même rétréci en deux semaines. Les ultrasons et la bactérie devaient agir ensemble pour que ces effets soient observés.
Ces résultats prometteurs invitent à des essais cliniques pour tester ce type de traitement sur des patients humains, bien que les chercheurs préviennent que cette thérapie pourrait ne pas se traduire aussi bien chez l’humain. En attendant, Shapiro et ses collègues veulent affiner leur technique. L’une des améliorations majeures qu’ils envisagent est le marquage des bactéries afin de pouvoir les localiser dans l’organisme en temps réel. Dès que des signes montrent que la bactérie a établi une colonie au niveau de la tumeur, les fréquences ultrasonores appropriées peuvent être utilisées.
La même procédure pourrait également être utilisée pour cibler d’autres maladies comme la fibrose kystique (mucoviscidose), qui affecte les poumons.
Pour Shapiro :
C’est un résultat très prometteur, car il montre que nous pouvons cibler la bonne thérapie au bon endroit et au bon moment. Mais comme pour toute nouvelle technologie, il y a quelques éléments à optimiser, notamment en ajoutant la possibilité de visualiser les agents bactériens à l’aide d’ultrasons avant de les activer et en ciblant plus précisément les stimuli de chauffe sur eux.
L’étude publiée dans Nature Communications : Ultrasound-controllable engineered bacteria for cancer immunotherapy et présentée sur le site du California Institute of Technology : Fighting cancer with sound-controlled bacteria.