Les singes ayant beaucoup d’amis ont des aires cérébrales plus grandes liées à l’empathie et au lien social
Les primates présentent des ratios cerveau/corps parmi les plus élevés du règne animal. Ces observations fascinantes ont conduit certains anthropologues à adopter la « théorie du cerveau social », selon laquelle la gestion de réseaux sociaux et d’interactions de plus en plus complexes serait le principal moteur du développement de cerveaux plus volumineux, plutôt que la recherche de nourriture. Une nouvelle étude vient étayer cette théorie, en constatant que les macaques rhésus particulièrement extravertis qui disposent de vastes réseaux sociaux ont tendance à avoir des aires cérébrales élargies, liées à la prise de décision et à la création de liens sociaux.
Pour mieux comprendre comment les structures cérébrales internes peuvent avoir un impact sur les capacités sociales des primates, des chercheurs de l’université de Pennsylvanie ont suivi de près 103 macaques rhésus (Macaca mulatta) dans leur environnement naturel sur l’île de Cayo Santiago à Porto Rico. Ils ont fourni aux singes un peu de nourriture et d’eau, mais à part cela, ils étaient libres de socialiser comme ils le feraient dans la nature. Leur âge variait de nourrissons d’un mois à des singes âgés de 25 ans.
Les macaques rhésus vivent dans des groupes sociaux composés généralement de quelques mâles adultes et de beaucoup plus de femelles adultes et de leur progéniture. Les femelles adultes et leur progéniture appartiennent à plusieurs matrilignes différentes (des familles liées par la lignée maternelle) en raison de la manière dont leur structure sociale est organisée. Les mâles émigrent de leur groupe natal à la puberté pour rejoindre un nouveau groupe, tandis que les femelles restent dans le groupe dans lequel elles sont nées toute leur vie.
Comme pour les humains, la force des liens sociaux entre les différents individus d’un groupe de rhésus est généralement prédite par leur parenté, leur sexe et leur âge. La force des liens sociaux peut être mesurée par le temps passé en étroite proximité, le contact physique et le comportement de toilettage. Le toilettage social est particulièrement important : il s’agit du principal comportement d’affiliation utilisé par les macaques rhésus pour établir et cimenter leurs relations sociales les uns avec les autres.
Le toilettage a une fonction hygiénique, en débarrassant les singes des parasites, mais il est également relaxant pour celui qui le reçoit. Si un macaque demande à être toiletté, généralement en claquant des lèvres pour encourager un de ses congénères à s’approcher, puis en se couchant devant l’autre, exposant la partie à toiletter, c’est un signe important de lien social.
Sur une période de 3 mois, les chercheurs ont compté le nombre de singes qui ont été toilettés ou qui ont effectué le toilettage afin d’établir le nombre de partenaires sociaux de chaque singe adulte. Outre le nombre de partenaires de toilettage, les chercheurs ont également examiné d’autres facteurs sociaux tels que la distance physique par rapport aux autres singes, le statut social, les liens avec les individus les plus importants du groupe et la capacité à servir de pont social entre les parties déconnectées d’un groupe.
Après avoir effectué des examens IRM sur 35 macaques juvéniles et adultes pour mesurer les volumes de différentes structures cérébrales, les chercheurs, dirigés par Camille Testard, étudiant diplômé, ont constaté que les singes possédant les plus grands réseaux sociaux avaient des volumes plus importants dans deux zones clés : le sillon temporal médio-supérieur et l’insula ventrale-dysgranulaire.
Ces régions du cerveau sont bien connues pour jouer un rôle important dans la cognition sociale chez l’humain. Par exemple, l’activité du sillon temporal médio-supérieur est modulée par la prévisibilité du comportement des autres.
L’un des résultats les plus intéressants est que les macaques ne sont pas nés avec ces améliorations de la structure cérébrale, mais qu’ils les ont acquises au cours de leur développement. Selon les chercheurs, ces différences sont probablement le résultat des modèles et des interactions que les individus établissent au cours de leur socialisation.
Bien que l’étude ait porté sur des macaques vivant en liberté, les résultats pourraient avoir des implications importantes pour les humains également. De précédentes études ont montré que le nombre d’amis Facebook d’une personne, un substitut des amis de la vie réelle, peut prédire la densité de la matière grise dans les régions du cerveau liées au comportement social.
Il existe également de nombreux parallèles entre les hiérarchies sociales des macaques et des humains. Les jeunes macaques nés de mères populaires ont tendance à devenir eux-mêmes populaires, aidés par un réseau d’amis qui les soutient, tandis que ceux qui sont nés dans une famille où les liens sociaux sont faibles auront tendance à avoir un statut social bas lorsqu’ils deviendront adultes. Il va sans dire que le fait de naître dans une bonne famille constitue un avantage considérable pour les humains également.
Les chercheurs de conclure :
Nos résultats démontrent que la taille de structures cérébrales spécifiques varie en fonction du nombre de liens sociaux affiliatifs directs et suggèrent que cette relation peut apparaître au cours du développement. Ces résultats renforcent les liens proposés entre la taille du réseau social, la réussite biologique et l’expansion de circuits cérébraux spécifiques.
L’étude publiée dans Science Advances : Social connections predict brain structure in a multidimensional free-ranging primate society et présentée sur le site de l’Université de Pennsylvanie : Social connections influence brain structure of rhesus macaques.