Des excréments de Viking permettent à des scientifiques de reconstituer le génome d’un ancien parasite humain qui sévit encore
D’anciennes latrines du Danemark viking, des Pays-Bas et de la Lituanie renferment l’histoire d’un animal que nous côtoyons depuis des générations et qui pourrait être la clé pour résoudre l’un des principaux problèmes de santé de la partie du monde en développement.
Il existe une solide relation, vieille de 55 000 ans, entre l’humain et l’helminthe, plus précisément le parasite intestinal Trichuris trichiura ou « trichocéphale ».
Image d’entête : extrémité postérieure d’un trichocéphale mâle, avec un canal éjaculateur se terminant en spicule. (Leonardo M. Lustosa/ Wikimedia)
Le trichocéphale est à l’origine de la trichocéphalose ou trichiurose, qui est aujourd’hui une maladie tropicale dont on estime le nombre d’infections humaines à un milliard dans le monde.
Mais cette relation existe depuis très longtemps : des œufs du parasite ont été retrouvés dans des matières fécales humaines fossilisées vieilles de 9 000 ans.
Pour se plonger dans l’histoire du parasite, les chercheurs ont cartographié le génome de la version ancienne et moderne du trichocéphale afin de voir comment il a évolué. C’est là que les latrines vikings entrent en jeu. En raison de l’extrême durabilité des œufs, leur ADN interne est bien conservé si les œufs ont été enterrés dans un sol humide.
Des excréments fossilisés, provenant des latrines de colonies vikings de Viborg et de Copenhague, ont fourni les œufs qui ont ensuite (après avoir été tamisés à partir des selles) été soumis à une analyse génétique.
Latrines datant des années 1650 découvertes lors des fouilles du métro de Copenhague. (Université de Copenhague)
Selon l’un des chercheurs, le professeur Christian Kapel, parasitologue à l’université de Copenhague :
Nous savions depuis longtemps que nous pouvions détecter au microscope des œufs de parasites vieux de 9000 ans. Heureusement pour nous, les œufs sont faits pour survivre dans le sol pendant de longues périodes. Dans des conditions optimales, même le matériel génétique du parasite peut être extrêmement bien conservé.
Et certains des plus anciens œufs dont nous avons extrait l’ADN ont 5000 ans. Il fut assez surprenant de cartographier entièrement le génome d’œufs de trichocéphale de 1000 ans bien conservés dans cette nouvelle étude.
Œufs de trichocéphale. (Université de Copenhague)
Pour les chercheurs, ces échantillons représentent les plus anciens échantillons d’helminthes et probablement les plus anciens agents pathogènes eucaryotes à partir desquels des données de séquençage du génome entier ont été dérivées à ce jour.
Toujours selon Kapel :
Sans surprise, nous constatons que le trichocéphale semble s’être propagé de l’Afrique au reste du monde en même temps que l’homme il y a environ 55 000 ans, conformément à l’hypothèse de la migration humaine dite « hors d’Afrique ».
Aujourd’hui, un trichocéphale peut atteindre 5 à 7 centimètres de long et vivre sans se faire remarquer dans l’intestin d’un individu sain pendant plusieurs mois. Durant cette période, il pond continuellement des œufs, qui sont expulsés par les selles. Chez les personnes dont le système immunitaire est affaibli, le trichocéphale peut provoquer un large éventail de maladies gastro-intestinales, la malnutrition et retarder le développement de l’enfant.
Bien que l’on estime que la maladie causée par le parasite touche 500 millions de personnes dans les pays en développement, comme il est désormais rare dans les pays industrialisés, il est rarement financé par la recherche.
Pour Kapel :
Notre cartographie du trichocéphale et de son développement génétique facilite la conception de vermifuges plus efficaces qui peuvent être utilisés pour prévenir la propagation de ce parasite dans les régions les plus pauvres du monde.
Les recherches ont été publiées dans Nature Communications : Population genomics of ancient and modern Trichuris trichiura et présentées sur le site de l’université de Copenhague : DNA in Viking poop sheds new light on 55,000-year-old relationship between gut companions.