Des chercheurs reconstituent le génome des arrières-grands-parents de tous les mammifères
Le monde des mammifères est un endroit riche et diversifié, avec plus de 4 800 espèces vivantes connues de la science. Mais bien qu’ils semblent très différents, tous les mammifères, qu’il s’agisse de baleines bleues, de dauphins, de koalas ou d’humains, sont issus d’un seul groupe ancestral commun. Récemment, des scientifiques de l’université de Californie à Davis (Etats-Unis) ont utilisé des outils moléculaires pour reconstruire le génome de ce que certains biologistes pensent être le tout premier mammifère, une créature à fourrure qui se faufilait entre les pattes des dinosaures il y a plus de 210 millions d’années.
Selon Harris Lewin, professeur d’évolution et d’écologie à l’université de Californie à Davis, et auteur principal de la nouvelle étude :
Nos résultats ont des implications importantes pour la compréhension de l’évolution des mammifères et pour les efforts de conservation.
Les premiers mammifères connus étaient les Morganucodons de la famille des Morganucodontidés, de minuscules créatures de la taille d’une musaraigne dont les fossiles ont été découverts pour la première fois en 1949 dans d’anciens comblements de crevasses calcaires au Pays de Galles. On pense que tous les mammifères vivants, nous y compris, descendent de cette lignée. Pendant plus de 140 millions d’années, ces premiers mammifères furent dans le besoin, ne dépassant jamais la taille d’un chat, car toutes les niches écologiques riches en nutriments étaient dominées par les dinosaures. Mais leur humilité/ discrétion a peut-être été bénéfique.
Après l’impact d’un énorme astéroïde sur la Terre, au large des côtes du Mexique, il y a environ 66 millions d’années, tous les dinosaures non aviaires ont été éliminés et des mammifères agiles sont apparus sur la Terre pour en hériter. En l’espace de quelques millions d’années seulement, les données fossiles montrent un essor de la diversité des mammifères, un vaste panorama de fourrure, de sabots et même de crocs.
Les scientifiques veulent comprendre l’évolution des mammifères, et il est souvent utile de commencer par la source. Mais comment séquencer le génome d’une créature dont l’ADN a disparu depuis fort longtemps ? Il faut utiliser des êtres vivants pour combler les vides.
Les chercheurs ont analysé les génomes de 32 espèces vivantes appartenant à 23 des 26 ordres connus de mammifères. Parmi eux, on trouve des humains, des rhinocéros, des chauves-souris, des pangolins et même du bétail domestique. Les génomes du poulet et de l’alligator chinois ont également été analysés à des fins de comparaison.
En utilisant des outils de biologie computationnelle sur les données qu’ils ont recueillies, les chercheurs ont reconstruit le génome d’un ancêtre mammifère qui avait probablement 19 chromosomes autosomiques (distincts des chromosomes sexuels qui déterminent le sexe d’une créature), ainsi que deux chromosomes sexuels tout comme les humains (les femelles ont deux copies du chromosome X, tandis que les mâles ont un chromosome X et un chromosome Y).
Sur l’ensemble des 32 génomes qu’ils ont analysés, les chercheurs ont trouvé 1 215 séquences de gènes qui apparaissent systématiquement sur le même chromosome et dans le même ordre. Ces gènes sont essentiels au développement d’un embryon sain.
De plus, les chercheurs ont trouvé 9 chromosomes entiers et quelques fragments chez l’ancêtre des mammifères dont l’ordre des gènes était le même que celui trouvé dans les chromosomes des oiseaux vivants.
Pour Lewin :
Cette remarquable découverte montre la stabilité évolutive de l’ordre et de l’orientation des gènes sur les chromosomes sur une période d’évolution étendue de plus de 320 millions d’années.
La reconstitution des anciens génomes permet aux scientifiques de mieux appréhender l’évolution et les forces qui la régissent. En remontant la piste des chromosomes ancestraux qu’ils ont reconstitués, les chercheurs ont constaté que le taux de réarrangement des chromosomes différait largement entre les différents ordres de mammifères. Par exemple, les ruminants, qui comprennent les mammifères vivants comme les bovins, les moutons et les cerfs, ont connu une accélération du réarrangement il y a 66 millions d’années, après l’extinction des dinosaures.
L’étude publiée dans les Proceedings of the National Academy of Sciences : Evolution of the ancestral mammalian karyotype and syntenic regions et présentée sur le site de l’université de Californie à Davis : Revealing the Genome of the Common Ancestor of All Mammals.
Le mois dernier (septembre 2022) des scientifiques découvraient ce qui est, à ce jour, le plus ancien mammifère connu, le Brasilodon quadrangularis, une ancienne musaraigne (désolé Morganucodon…) :