Les premières ondes cérébrales enregistrées chez des pieuvres se déplaçant librement
Dans une première scientifique, des chercheurs ont enregistré l’activité cérébrale de pieuvres vivantes se déplaçant librement et vaquant allègrement à leurs occupations.
Image d’entête : poulpe de récif commun aux Maldives, en livrée d’intimidation. (Ahmed Abdul Rahman/ Wikimedia)
Cette avancée a été réalisée en implantant des électrodes dans le cerveau des animaux et des enregistreurs de données sous leur peau qui ont pu enregistrer 12 heures d’activité cérébrale. La signification précise de ces enregistrements doit encore être décodée, mais cette recherche constitue une première étape dans la compréhension de ce que se passe dans l’esprit complexe de ces magnifiques créatures marines.
Selon Tamar Gutnick, chercheuse sur les pieuvres au Collège doctoral de science et technologie d’Okinawa au Japon et à l’université de Naples – Frédéric II en Italie :
Si nous voulons comprendre le fonctionnement du cerveau, les pieuvres sont l’animal parfait à étudier en comparaison avec les mammifères. Ils ont un gros cerveau, un corps étonnamment unique et des capacités cognitives avancées qui se sont développées de manière complètement différente de celles des vertébrés.
Les pieuvres sont des animaux très intelligents et extrêmement curieux. De plus, ils sont très mobiles et, avec leurs huit bras sans os, ils ont des capacités de manipulation et d’atteinte inégalées dans le règne animal.
Un pieuvre de jour (Octopus cyanea) pose avec un Shisa, une créature du folklore d’Okinawa. (Michael Kuba)
Par conséquent, essayer d’attacher quoi que ce soit à une pieuvre qui a le plein usage de son corps est une entreprise futile. Et si vous voulez savoir comment le cerveau d’une pieuvre fonctionne dans des circonstances normales, il faut qu’elle utilise pleinement son corps. Un équipement non invasif qui se colle à l’extérieur du corps, comme un capuchon d’électrode, ne fonctionnerait pas.
Toujours selon Gutnick :
Si nous essayions de leur attacher des fils, ils les arracheraient immédiatement, il nous fallait donc un moyen de mettre l’équipement complètement hors de leur portée, en le plaçant sous leur peau.
La solution consistait à utiliser des électrodes et des enregistreurs de données conçus pour enregistrer l’activité cérébrale des oiseaux en vol. Ces dispositifs sont souvent protégés par un boîtier étanche en plastique dur, dont le profil est relativement large et qui ne convient donc pas à l’implantation dans des pieuvres, l’équipe a donc mis au point un boîtier profilé en tubes de plastique.
Ils ont sélectionné pour leurs travaux trois poulpes de l’espèce Octopus cyanea, également connue sous le nom de poulpe de récif commun, une grande pieuvre dont le manteau, la partie centrale du corps, présente une cavité pouvant accueillir l’enregistreur de données.
Les chercheurs ont implanté les électrodes à l’intérieur de chaque pieuvre anesthésiée, directement dans les lobes frontaux supérieurs verticaux et médians. Ces électrodes étaient reliées à des enregistreurs de données placés dans le manteau de chaque pieuvre.
Chaque enregistreur de données était équipé d’une batterie qui permettait un enregistrement continu pendant 12 heures. Les chercheurs ont remis les animaux dans leur bassin et les ont laissés se réveiller et vaquer à leurs occupations habituelles, leur activité cérébrale étant sous surveillance. Pendant ce temps, une caméra vidéo a été installée pour enregistrer ce qu’ils faisaient afin que les chercheurs puissent comparer l’activité cérébrale au comportement de chaque pieuvre.
A partir de l’étude : les chercheurs ont enregistré l’activité cérébrale d’une pieuvre pendant 12 heures. Ici, la pieuvre est en sommeil actif, un stade au cours duquel on observe des changements rapides de couleur et de texture, ainsi que des mouvements rapides de succion. (T.Gutnick et col./ Current Biology)
Une fois les enregistrements terminés, les chercheurs ont euthanasié les pieuvres et récupéré les enregistreurs de données. Ils ont identifié plusieurs modèles d’activité cérébrale de longue durée, dont certains sont similaires à ceux observés chez les mammifères. D’autres modèles, en revanche, ne ressemblent à rien de ce que l’on trouve dans la littérature scientifique.
Leur signification reste un mystère. Ces schémas n’ont pu être liés à aucun des comportements observés dans les vidéos. Cependant, ce n’est pas nécessairement surprenant. Les régions du cerveau auxquelles les électrodes étaient fixées sont associées à l’apprentissage et à la mémoire, et les pieuvres n’ont pas eu à effectuer de tâches d’apprentissage ou de mémoire pendant l’expérience. Cela pourrait faire l’objet de futures expériences, peut-être sur un plus grand nombre de sujets et d’espèces.
Selon le zoologiste Michael Kuba, de l’université de Naples – Frédéric II et coauteur de l’étude :
Il s’agit d’une étude vraiment cruciale, mais ce n’est que la première étape. Les pieuvres sont si intelligentes, mais pour l’instant, nous savons très peu de choses sur le fonctionnement de leur cerveau. Grâce à cette technique, nous avons désormais la possibilité de scruter leur cerveau pendant qu’ils effectuent des tâches spécifiques. C’est vraiment passionnant et puissant.
L’étude publiée dans Current Biology : Recording Electrical Activity from the Brain of Behaving Octopus et présentée sur le site du Collège doctoral de science et technologie d’Okinawa : Scientists record first-ever brain waves from freely moving octopuses.