Deux espèces d’oiseaux de Nouvelle-Guinée aux plumes qui se sont révélés toxiques
Ils ont des couleurs vives, des yeux en perles et, grâce à des mutations génétiques uniques, ils sont porteurs d’une neurotoxine mortelle.
Deux espèces d’oiseaux, le Siffleur de Schlegel (Pachycephala schlegelii) et le Siffleur à nuque rousse (Aleadryas rufinucha), ont été décrites pour la première fois il y a environ 150 ans, mais leur statut a été mis à jour : elles possèdent toutes deux une neurotoxine extrêmement puissante.
Image d’entête : le siffleur à nuque rousse (Aleadryas rufinucha). (Université de Copenhague)
Les résultats obtenus par une équipe de l’université de Copenhague explorant les forêts tropicales de Papouasie-Nouvelle-Guinée représentent la première découverte d’oiseaux toxiques depuis vingt ans.
Le siffleur de Schlegel et le siffleur à nuque rousse sont des oiseaux chanteurs communs en Nouvelle-Guinée, mais avant l’étude de Copenhague, ils n’étaient pas considérés comme des candidats susceptibles de posséder de puissants poisons. La découverte d’oiseaux toxiques est elle-même récente. Il y a trente ans, les membres du genre Pitohuis, également présents en Papouasie-Nouvelle-Guinée, furent les premières espèces d’oiseaux à être considérées comme toxiques.
Le Pitohui bicolore fut le premier oiseau dont on découvrit la toxicité. (Benjamin Freeman/ Université de Copenhague)
Les siffleurs de Schlegel, les siffleurs à nuque rousse et certains cousins du genre Pitohuis ont dans leurs plumes l’une des plus puissantes neurotoxines naturelles au monde. Ils obtiennent probablement ces alcaloïdes en mangeant des coléoptères Melyridae, qui contiennent de fortes concentrations de batrachotoxines. L’ingestion de ces toxines finit par se manifester dans le plumage de ces espèces d’oiseaux, que les populations indigènes de Nouvelle-Guinée considèrent comme peu comestibles en raison des sensations de brûlure et de piqûre ressenties lors de leur manipulation.
C’est la même classe de toxines que l’on trouve dans la peau des grenouilles vénéneuses d’Amérique du Sud (Dendrobatidae). Ces dernières sécrètent le poison à partir de leur peau aux motifs brillants, qui sert d’indicateur d’alerte pour de potentiels prédateurs. Les scientifiques pensent que, comme les oiseaux de Nouvelle-Guinée, ces grenouilles acquièrent leur peau toxique en se nourrissant d’espèces de coléoptères Melyridae apparentées.
Epipedobates tricolor’, une espèce de grenouille Dendrobatidae. (Pra kan/ Wikimedia)
Kasun Bodawatta, chercheur pour l’étude, a dû expliquer ce puissant effet à son collègue lorsqu’il a prélevé des échantillons de plumes sur place.
Selon Bodawatta :
Ils pensaient que j’étais triste et que je passais un mauvais moment pendant le voyage lorsqu’ils m’ont trouvé avec le nez qui coulait et des larmes dans les yeux. En fait, j’étais simplement assis en train de prélever des échantillons de plumes sur un Pitohui.
Retirer les oiseaux du filet n’est pas mauvais, mais lorsqu’il faut prélever des échantillons dans un environnement confiné, vous sentez quelque chose dans vos yeux et votre nez. C’est un peu comme couper des oignons, mais avec un agent neurotoxique.
L’autre nouvel oiseau toxique découvert est le Siffleur de Schlegel (Pachycephala schlegelii). (Ian Shriner/ Université de Copenhague)
Les batrachotoxines attaquent le corps presque immédiatement. Un animal, incluant l’humain, exposé au poison des grenouilles d’Amérique du Sud souffrira de spasmes musculaires, de crampes et d’arrêts cardiaques. Bodawatta est heureusement en mesure de traiter les oiseaux toxiques comme le Pitohui, car les neurotoxines présentes dans leurs plumes sont beaucoup moins importantes que celles des grenouilles d’Amérique du Sud.
Mais si ces animaux mangent des coléoptères hautement toxiques, pourquoi ne meurent-ils pas ? La réponse se trouve dans leur ADN.
Ces oiseaux et ces grenouilles résistent aux symptômes graves provoqués par l’exposition à des toxines chez d’autres animaux grâce à des mutations dans les gènes qui déterminent les protéines fonctionnelles des canaux sodiques dans leur organisme. Les canaux sodiques fonctionnent comme des passerelles, aidant à réguler le flux d’ions sodium dans les cellules clés. Mais lorsque les batrachotoxines se lient à ces canaux dans les cellules musculaires de la plupart des espèces, ils ne se ferment pas.
Toujours selon Bodawatta :
En forçant les canaux sodiques du tissu musculaire squelettique à rester ouverts, les batrachotoxines peuvent provoquer de violentes convulsions et, finalement, la mort.
Pour survivre à la toxine, il faudrait donc modifier les gènes codant pour les protéines de l’animal. Heureusement, les deux oiseaux semblent avoir des adaptations comparables à celles des grenouilles : un exemple d’évolution convergente où des espèces totalement différentes développent des variations anatomiques bénéfiques distinctes, mais similaires.
Les oiseaux et les grenouilles présentent tous deux des mutations du gène SCN4A, qui code pour le canal sodique NAV1.4. Bien que les variations soient différentes, elles semblent conférer le même avantage.
Bodawatta explique :
Il était naturel de chercher à savoir si les oiseaux présentaient des mutations dans les mêmes gènes que les grenouilles. Il est intéressant de noter que la réponse est à la fois oui et non. Les oiseaux présentent des mutations dans la zone qui régule les canaux sodiques et qui, selon nous, leur donne la capacité de tolérer la toxine, mais pas exactement aux mêmes endroits que les grenouilles.
Trouver ces mutations qui peuvent réduire l’affinité de liaison de la batrachotoxine, chez les oiseaux toxiques, à des endroits similaires à ceux des grenouilles Dendrobatidae, est très intéressant, et cela montre que pour s’adapter au mode de vie de la batrachotoxine, il faut une certaine forme d’adaptation de ces canaux sodiques.
L’étude publiée dans Molecular Ecology : Multiple mutations in the Nav1.4 sodium channel of New Guinean toxic birds provide autoresistance to deadly batrachotoxin et présentée sur le site de l’Université de Copenhague : Danish researchers discover birds with neurotoxin-laden feathers.