Les nuages de Neptune ont mystérieusement disparu
Quelque chose de très étrange est arrivé sur Neptune. Au cours des dernières années, les pâles traînées de nuages qui habillent généralement son atmosphère bleue ont pratiquement disparu.
De plus, des images datant de 1994, lorsque le télescope spatial Hubble a commencé à observer Neptune, montrent que ce n’est pas la première fois que cela se produit. Les fluctuations semblent également liées à un autre changement périodique : l’activité du cycle solaire, qui dure 11 ans.
Image d’entête : les observations de Neptune par Hubble de 1994 à 2020. (NASA, ESA, Erandi Chavez (UC Berkeley), Imke de Pater (UC Berkeley))
Compte tenu de la distance qui sépare Neptune du Soleil, environ 4,5 milliards de kilomètres, soit un peu plus de 30 fois la distance moyenne entre la Terre et le Soleil, cette découverte a surpris et intrigué les astronomes.
La transformation la plus récente est particulièrement spectaculaire. En 2019, les nuages aux latitudes moyennes ont commencé à s’estomper. En 2020, la planète était pratiquement dépourvue de nuages.
Neptune surveillée sans l’infrarouge proche par l’Observatoire W. M. Keck de 2002 à juin 2023. (Imke de Pater, Erandi Chavez, Erin Redwing/ UC Berkeley/ W. M. Keck Observatory)
Pour l’astronome Erandi Chavez, de l’université Harvard, qui travaillait à l’Université de Californie à Berkeley (UC Berkeley/ États-Unis) lorsqu’elle a dirigé les travaux de recherche :
Même quatre ans plus tard, les images que nous avons prises en juin dernier montrent que les nuages n’ont pas retrouvé leur volume initial. C’est extrêmement stimulant et inattendu, d’autant plus que la précédente période de faible activité nuageuse de Neptune était loin d’être aussi spectaculaire et prolongée.
Neptune est la plus éloignée des grandes planètes du système solaire et, par conséquent, elle n’est pas aussi bien étudiée ou comprise que certaines des planètes voisines de la Terre. Mais les informations dont nous disposons suggèrent une atmosphère complexe et dynamique, animée par des processus que nous ne comprenons pas encore tout à fait.
Bien que son étude à distance soit relativement limitée, elle permet d’identifier les tendances atmosphériques sur le long terme. Chavez et ses collègues ont concentré leur étude sur les données collectées depuis 1994 par Hubble, depuis 2002 par l’observatoire Keck et par l’observatoire Lick en 2018 et 2019. Ces ensembles de données combinés ont révélé que la couverture nuageuse de Neptune fluctue selon des cycles d’environ 11 ans qui semblent être synchronisés avec l’activité solaire.
Tous les 11 ans environ, le champ magnétique du Soleil inverse sa polarité, ce qui se traduit par un pic d’éruptions, d’éjections de masse coronale et de taches solaires. Une fois les pôles inversés, le Soleil se calme pendant un certain temps, avant de s’intensifier à nouveau pour atteindre un nouveau maximum solaire.
Avant d’atteindre son maximum, le Soleil émet une lumière ultraviolette plus intense, irradiant le système solaire. L’analyse de 29 ans réalisée par l’équipe montre que les nuages commencent à apparaître sur Neptune environ deux ans après le début de la puissante irradiation UV. Il existe également une corrélation positive entre la couverture nuageuse de Neptune et son albédo, c’est-à-dire la quantité de lumière solaire qu’elle réfléchit.
Comparaison de la couverture nuageuse de Neptune et des niveaux de rayonnement solaire UV. (NASA, ESA, LASP, Erandi Chavez/UC Berkeley, Imke de Pater/UC Berkeley)
Selon l’astronome Imke de Pater, de l’université de Berkeley :
Ces données remarquables nous fournissent la preuve la plus solide à ce jour que la couverture nuageuse de Neptune est en corrélation avec le cycle du Soleil. Nos résultats soutiennent la théorie selon laquelle les rayons UV du Soleil, lorsqu’ils sont suffisamment intenses, peuvent déclencher une réaction photochimique à l’origine des nuages de Neptune.
L’analyse de l’équipe, qui couvre 2,5 cycles solaires, montre que la couverture nuageuse et l’albédo de Neptune ont atteint leur maximum en 2002 (ce qui correspond à une précédente étude), avant de retomber à leur niveau le plus bas en 2007. À partir de là, la couverture nuageuse et l’albédo ont de nouveau augmenté pour atteindre un pic en 2015, avant de redescendre. Les deux maxima solaires les plus récents ont eu lieu en 2001 et en 2015.
Toutefois, si les résultats suggèrent l’existence d’une sorte de phénomène photochimique, les scientifiques vont devoir analyser certaines données pour déterminer de quoi il s’agit. Par exemple, l’une des possibilités d’interaction avec les UV est l’assombrissement, et non l’éclaircissement, des nuages, ce qui diminuerait l’albédo au lieu de l’augmenter. De plus, les tempêtes provenant des profondeurs de Neptune n’auraient aucun rapport avec les nuages d’origine photochimique, ce qui constitue une complication.
Les observations se poursuivent et les chercheurs disposent de nouvelles données fournies par le télescope spatial James Webb. Ces deux éléments concordent avec les conclusions de l’équipe à l’approche du prochain maximum solaire, prévu pour 2025.
Selon de Pater :
Nous avons observé davantage de nuages sur les images les plus récentes, en particulier aux latitudes nord et à haute altitude, comme le laissait présager l’augmentation observée du flux d’UV solaire au cours des deux dernières années.
Bien sûr, il serait encore mieux d’envoyer une sonde pour étudier Neptune de près. Mais pour l’instant, nous devons nous en contenter.
L’étude publiée dans Icarus : Evolution of Neptune at near-infrared wavelengths from 1994 through 2022 et présentée sur le site du W. M. Keck Observatory : Clouds On Neptune Perform a Surprise Disappearing Act et sur le site du HubbleSite (NASA) : Neptune’s Disappearing Clouds Linked to the Solar Cycle.