Un rapport de l’ONU indique que 20 % des espèces migratrices sont désormais menacées d’extinction
Chaque année, les baleines à bosse parcourent des milliers de kilomètres entre les régions polaires et les tropiques pour diverses raisons, notamment pour donner naissance à leurs petits. Lorsqu’elles vivent et se nourrissent dans les hautes latitudes, elles accumulent de la graisse en consommant de grandes quantités de krill, leur nourriture habituelle. Lorsqu’elles migrent vers l’équateur, elles vivent de cette graisse et rejettent des panaches de nutriments qui fertilisent les eaux tropicales et alimentent la croissance de micro-organismes dont se nourrissent d’autres créatures marines. En bref, ces mammifères marins emblématiques agissent comme de gigantesques usines de dispersion de nutriments qui parcourent le monde.
Image d’entête : les baleines produisent des excréments, lesquels constituent une source essentielle de nutriments en haute mer. En ramassant leur nourriture et en rejetant leurs excréments, les baleines contribuent à maintenir les principaux nutriments en suspension près de la surface, où ils peuvent alimenter la prolifération du phytoplancton qui absorbe le carbone et constitue la base des réseaux alimentaires océaniques.(Elliott Hazen under NOAA/NMFS)
De la même manière, des milliers d’espèces, comptant des milliards d’animaux, effectuent chaque année des voyages migratoires sur terre, dans les océans et dans le ciel. Elles traversent des pays et des continents, certaines parcourant des milliers de kilomètres pour se nourrir, se reproduire ou passer l’hiver. Elles jouent un rôle important en transportant des nutriments, en s’attaquant aux parasites ou en pollinisant les fleurs, y compris les cultures. Selon Amy Fraenkel, secrétaire exécutive de la Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage (ou Convention de Bonn), un organisme international qui vise à conserver et à protéger ces animaux :
Les espèces migratrices font partie intégrante des écosystèmes où elles se trouvent. Ce qui les rend uniques, c’est le fait qu’ils se déplacent, ce qui signifie qu’ils peuvent fournir des services spécialisés.
Cette semaine, un nouveau rapport sur l’état des espèces migratrices dans le monde, publié par la Convention de Bonn (lien plus bas), révèle l’état alarmant et désastreux des animaux migrateurs de notre planète. Sur les milliers de créatures migratrices qui peuplent la terre, l’organisme en recense 1 189 qui ont besoin d’une protection internationale. Cela comprend 962 espèces d’oiseaux, 94 espèces de mammifères terrestres, 64 espèces de mammifères aquatiques, 58 espèces de poissons, 10 espèces de reptiles et un insecte, le papillon monarque. Le rapport a été préparé pour la convention par des scientifiques du Centre mondial de surveillance pour la conservation de la nature du Programme des Nations unies pour l’environnement.
Globalement, plus d’une espèce sur cinq figurant sur la liste de la convention est considérée comme menacée d’extinction d’après l’évaluation de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), une organisation mondiale qui tient une « liste rouge » des espèces en difficulté. L’UICN utilise une définition des espèces migratrices légèrement différente de celle de la Convention de Bonn. L’UICN définit les espèces migratrices comme celles qui doivent se déplacer d’un habitat à l’autre à différentes périodes de l’année pour assurer leur subsistance, comme les baleines à bosse, les bécasseaux rouges ou les papillons monarques. Le cadre de la Convention sur les espèces migratrices est davantage axé sur l’humain.
Graphique tiré du rapport : proportion d’espèces inscrites à la CMS classées dans chaque catégorie de la Liste rouge de l’UICN, par groupe taxonomique. (Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage)
La définition que nous utilisons dans le cadre de la convention vise à déterminer si les espèces traversent les frontières nationales de façon routinière et régulière.
44 % des espèces répertoriées par la Convention de Bonn présentent des populations en déclin, et l’organisation souligne que sa liste n’est pas exhaustive. Près de 400 espèces migratrices menacées ou quasi menacées d’extinction selon l’UICN ne figurent pas actuellement sur la liste de la convention. Les risques ne sont pas les mêmes selon les espèces. Si les oiseaux comptent le plus grand nombre d’espèces sur la liste, les poissons migrateurs sont les plus menacés. Près de 97 % des poissons inscrits sur la liste sont menacés de disparition.
L’esturgeon est le groupe de poissons le plus menacé dans le rapport, la surpêche et la pollution étant particulièrement préoccupantes. (Egor Kamelev)
Les poissons et les oiseaux migrateurs apportent d’énormes avantages aux différents écosystèmes qu’ils traversent. Lorsque les saumons remontent le courant pour frayer, ils servent de nourriture aux créatures terrestres, telles que les ours. Les carcasses de saumon qui jonchent les cours d’eau et les excréments des ours fertilisent la forêt. Les oiseaux migrateurs qui parcourent la planète de long en large mangent et excrètent des graines au cours de leur voyage, faisant ainsi pousser des plantes là où elles ne pousseraient pas autrement.
L’une des raisons pour lesquelles les animaux migrateurs disparaissent est que les voyages comportent de nombreux dangers. De nombreux animaux migrateurs parcourent régulièrement des milliers de kilomètres, explique Fraenkel. En chemin, ils doivent faire face à des conditions météorologiques imprévisibles, à des changements climatiques, à la perte de leur habitat, à la pénurie de nourriture, à la prédation, aux maladies et à d’autres dangers. Ils dépendent d’au moins deux écosystèmes pour maintenir leur mode de vie et, dans de nombreux cas, de sites d’escale transitoires. Si l’un de ces sites n’est plus en mesure d’assurer leur subsistance, ou s’ils ne peuvent physiquement s’y rendre, leur population entière risque de s’étioler, ce qui aura des répercussions sur des écosystèmes entiers.
Selon Fraenkel, les politiques nationales constituent souvent des obstacles à la survie, à l’épanouissement et au maintien des animaux dans leur habitat. Fraenkel cite les éléphants, qui sont souvent décrits comme des « ingénieurs de l’écosystème ». Lorsqu’ils se nourrissent de jeunes arbres et de buissons, ils éliminent les nouvelles pousses qui sont en concurrence pour l’eau, l’espace et le soleil. Les jeunes pousses qui survivent bénéficient d’un avantage considérable : elles deviennent plus grandes et plus fortes et séquestrent davantage de carbone dans leur tronc. Si les éléphants passent d’un pays où ils sont plus en sécurité à un pays où les braconniers les tuent, la forêt des deux côtés de la frontière en souffrira.
Éléphants d’Afrique en mouvement. (UICN)
Selon Fraenkel à propos des conclusions du rapport :
La plupart des menaces qui pèsent sur l’espèce proviennent des activités humaines. La raison d’être de la Convention sur les espèces migratrices est de réunir les pays pour qu’ils s’accordent sur les principales priorités concernant les espèces communes.
Le rapport constate que les humains sont la principale cause du déclin des espèces figurant sur sa liste. La chasse et la surpêche, qu’elles soient intentionnelles ou accessoires, peuvent être néfastes. L’humain construit des routes, des clôtures et des voies ferrées et abat des forêts. Ils utilisent des pesticides, déversent des déchets plastiques et créent une forte pollution sonore et lumineuse.
Une simple route peut perturber la migration d’un animal terrestre qui l’empruntait depuis des siècles. Un barrage peut empêcher les poissons d’accomplir leur voyage annuel de reproduction. Une ferme éolienne située sur le chemin des oiseaux migrateurs peut décimer les volées au fil du temps. Dans l’ensemble, la dégradation et la fragmentation des habitats et des itinéraires d’origine des créatures perturbent considérablement leurs déplacements. Trois espèces répertoriées sur quatre sont affectées par la dégradation et la fragmentation des habitats.
Fraenkel souligne que l’humain peut résoudre bon nombre de ces problèmes. Lors de la construction de routes et de voies ferrées, il peut créer des passages supérieurs et inférieurs qui servent de « corridors pour la faune ». Ces passages relient les deux côtés d’une forêt ou d’une chaîne de montagnes, permettant aux espèces de se déplacer comme elles le faisaient des dizaines d’années auparavant. Les parcs éoliens peuvent être construits à l’écart des trajectoires de vol des oiseaux et des chauves-souris. Si une ville s’étend, il est possible d’aménager davantage de parcs et d’espaces verts afin que les oiseaux conservent leurs aires de repos. Enfin, certaines espèces ont tout simplement besoin d’une protection plus forte, cohérente entre pays voisins.
Fraenkel cite quelques exemples de réussite dans un passé récent pour démontrer que le rétablissement est possible. Dans les années 1990, l’antilope saïga d’Asie centrale a connu un déclin de 95 %, passant de 1,5 million d’individus à 50 000 à peine. Les saïgas étaient traditionnellement chassées pour leur nourriture et leurs cornes, mais elles ne pouvaient plus migrer autant qu’il le fallait, car les obstacles construits par l’humain perturbaient leurs déplacements. Cette situation a entraîné la prolifération d’herbes que les saïgas ne broutaient plus, ce qui a modifié l’ensemble du paysage. Un effort international conjoint a permis de faire renaître la steppe et les voies de migration, notamment en supprimant les clôtures qui obstruaient les itinéraires. Les communautés locales ont également réduit la chasse, ce qui a permis aux animaux de se reconstituer, du moins dans certaines parties de leur aire de répartition, comme au Kazakhstan. Selon l’UICN, leur population est remontée à environ 1,3 million d’individus en 2022.
De même, lorsque la chasse à la baleine a été rendue illégale, nombre de ces mammifères marins sont revenus du bord de l’extinction.
Les espèces migratrices profitent aux écosystèmes qui soutiennent la santé humaine et planétaire. Si l’humain veut pouvoir profiter de forêts, de rivières, de montagnes, de steppes et d’océans en bon état de fonctionnement, il doit trouver un moyen de maintenir ces animaux en vie et en bonne santé, note Fraenkel qui ajoute :
Une forêt sans espèces n’est pas vraiment une forêt qui fonctionne.
Le rapport publié sur le site de la Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage (PDF en français) : État des espèces migratrices dans le monde et présenté sur ce même site : Landmark UN Report Reveals Shocking State of Wildlife: the World’s Migratory Species of Animals are in Decline, and the Global Extinction Risk Is Increasing et en détails :