Première observation de cellules vivantes réagissant aux champs magnétiques
L‘un des « sixièmes » sens les plus remarquables du règne animal est la magnétoréception, la capacité à détecter les champs magnétiques, mais son fonctionnement exact reste un mystère. Récemment, des chercheurs japonais ont peut-être trouvé un élément essentiel de l’énigme, en réalisant les premières observations de cellules vivantes et non altérées réagissant à des champs magnétiques.
On sait que de nombreux animaux se déplacent en détectant le champ magnétique terrestre, notamment les oiseaux, les chauves-souris, les rats-taupes, les anguilles, les baleines… et, selon certaines études, peut-être même les humains. Cependant, le mécanisme exact en jeu chez les vertébrés n’est pas bien compris. Une hypothèse suggère que c’est le résultat d’une relation symbiotique entre les animaux et les bactéries qui détectent le champ magnétique.
Mais l’hypothèse principale implique des réactions chimiques induites dans les cellules par ce que l’on appelle le mécanisme de paire de radicaux.
Tout se résume à ce qu’on appelle le spin, une propriété innée des électrons. Nous savons déjà que le spin est considérablement affecté par les champs magnétiques. Si l’on dispose les électrons de la bonne manière autour d’un atome et qu’on en rassemble suffisamment au même endroit, la masse de matière qui en résulte peut être mise en mouvement en utilisant un simple champ magnétique faible comme celui qui entoure notre planète.
Tout cela est très utile si vous voulez fabriquer une aiguille pour une boussole. Mais en l’absence de signes évidents de morceaux de matière magnétiquement sensibles à l’intérieur des crânes des pigeons, les physiciens ont dû penser plus petit.
En 1975, un chercheur de l’Institut Max Planck, Klaus Schulten, a élaboré une théorie sur la façon dont les champs magnétiques pourraient influencer les réactions chimiques. Il s’agissait d’un phénomène appelé paires radicales. Ici, le radical est un électron dans la coquille extérieure d’un atome qui n’est pas associé à un second électron.
Parfois, ces électrons célibataires peuvent adopter un ailier dans un autre atome pour former une paire de radicaux. Les deux restent non appariés mais, grâce à une histoire commune, ils sont considérés comme intriqués, ce qui, en termes quantiques, signifie que leurs spins correspondront étrangement, quelle que soit la distance qui les sépare.
Comme cette corrélation ne peut pas être expliquée par des connexions physiques continues, il s’agit d’une activité purement quantique, ce que même Albert Einstein considérait comme » bizarre « .
Dans l’agitation d’une cellule vivante, leur intrication sera fugace. Mais même ces brèves corrélations devraient durer juste assez longtemps pour faire une différence subtile dans le comportement de leurs atomes parents respectifs.
Dans les cellules vivantes des animaux disposant d’une magnétoréception, on pense que des protéines appelées cryptochromes seraient les molécules qui subissent ce mécanisme de paires radicales. Et à présent, des chercheurs de l’université de Tokyo ont observé pour la première fois des cryptochromes réagissant aux champs magnétiques.
L’équipe a travaillé avec des cellules HeLa, une lignée de cellules humaines de cancer du col de l’utérus, cultivées en laboratoire et souvent utilisées pour ce type d’expériences. Ils se sont concentrés sur les molécules de flavine des cellules, une sous-unité de cryptochromes qui réagissent à la lumière bleue.
Les chercheurs ont irradié les cellules avec une lumière bleue de sorte qu’elles deviennent fluorescentes, puis ils ont fait passer un champ magnétique au-dessus d’elles toutes les 4 secondes. Et à chaque fois, la fluorescence des cellules chutait d’environ 3,5 %.
A partir de l’étude : une animation montrant la diminution de la fluorescence des cellules en réponse à un champ magnétique (Ikeya et Woodward/ PNAS)
Selon l’équipe, cette diminution est la preuve du mécanisme de paires de radicaux à l’œuvre. Fondamentalement, lorsque les molécules de flavine sont excitées par la lumière, soit elles produisent des paires de radicaux, soit elles deviennent fluorescentes. Le champ magnétique influence un plus grand nombre de paires de radicaux pour qu’ils aient le même état de spin électronique, ce qui ralentit leurs réactions chimiques et diminue la fluorescence globale.
Selon Jonathan Woodward, coauteur de l’étude :
Nous n’avons rien modifié ni ajouté à ces cellules. Nous pensons avoir des preuves extrêmement solides que nous avons observé un processus mécanique purement quantique affectant l’activité chimique au niveau cellulaire.
L’équipe affirme que le champ magnétique utilisé dans les expériences était à peu près le même que celui d’un aimant de réfrigérateur ordinaire, qui est beaucoup plus fort que le champ naturel de la Terre. Mais il est intéressant de noter que des champs magnétiques plus faibles peuvent en fait faciliter la commutation des états de spin des électrons par paires de radicaux.
Cela pourrait signifier que le mécanisme des paires radicales est en jeu chez les animaux profitant d’une magnétoréception, mais des travaux supplémentaires seront nécessaires pour en être certain.
L’étude publiée dans The Proceedings of the National Academy of Sciences : Cellular autofluorescence is magnetic field sensitive et présentée sur le site de l’Université de Tokyo : Magnets dim natural glow of human cells, may shed light on how animals migrate.
Article très intéressant !
Juste une petite remarque : en Français on parle de couche électronique pour un atome plutôt que de coquille, qui semble être une traduction un peu trop littérale de « electron shell ».