Un ancien virus caché dans nos gènes pourrait jouer un rôle important dans certaines dépendances
Une version inhabituelle d’un rétrovirus, niché entre des gènes impliqués dans la chimie du cerveau, est plus courante chez les personnes ayant une dépendance aux drogues que dans le reste de la population.
Une équipe internationale de chercheurs a récemment publié une étude qui suggère qu’un ancien rétrovirus présent en plus forte proportion chez les personnes aux prises avec une dépendance à la drogue peut être la preuve d’une cause physique de dépendance.
Bien que de nombreux rétrovirus aient disparu, il y a des centaines de milliers ou des millions d’années, ils continuent de subsister dans notre ADN. Les rétrovirus infectent les cellules et se répliquent en insérant leur ADN dans le génome de leur cellule hôte. Parfois, cette dernière peut être une cellule germinale, comme un spermatozoïde ou un ovule, de sorte que l’ADN rétroviral est hérité par la descendance tout comme un gène normal. Les scientifiques appellent ces éléments des rétrovirus endogènes humains (HERV).
Les scientifiques estiment que 8 % de l’ADN humain est composé de séquences rétrovirales.
Des chercheurs de plusieurs institutions, dont l’université d’Oxford et l’université nationale et capodistrienne d’Athènes, ont étudié des personnes qui s’injectaient des drogues en Grèce et en Écosse. Après un examen génétique de base des participants à l’étude, les chercheurs ont constaté que les consommateurs de drogue étaient environ 3 fois plus susceptibles d’avoir des restes du rétrovirus HK2 dans un gène particulier de leur ADN que les personnes qui ne consommaient pas de drogue. Le virus a été identifié chez 34 % des utilisateurs de drogue testés à Glasgow, en Écosse, comparativement à 9,5 % de la population locale, et chez 14 % des patients grecs, comparativement à 6 % de la population de ce pays.
L’intégration de HK2 n’est présente que dans 5 à 10% de la population, où il peut affecter le gène RASGRF2, qui est impliqué dans la régulation des niveaux de dopamine dans le cerveau. Le neurotransmetteur dopamine aide à contrôler les centres de récompense et du plaisir du cerveau, mais il est également impliqué dans le comportement de dépendance lorsqu’il est généré en grande quantité à la suite de la consommation de drogues.
Déjà, en 2012, les scientifiques avaient lié le même gène à la consommation excessive d’alcool.
Selon le professeur Katzourakis, de l’université d’Oxford, qui a codirigé l’étude :
Nous connaissons des rôles biologiques clairs pour un petit nombre de rétrovirus endogènes humains. Cependant, il n’y a jamais eu auparavant de preuves solides à l’appui d’un rôle dans la biologie humaine d’un rétrovirus endogène non fixé, c’est-à-dire non partagé par tous les individus dans la population. Notre étude montre pour la première fois que des variantes rares de HK2 peuvent affecter un caractère humain complexe. La reproduction de ce résultat dans les cohortes distinctes d’Athènes et de Glasgow est particulièrement importante.
Bien qu’ils n’aient pas établi de relation de cause à effet, la corrélation identifiée dans l’étude est forte. Les auteurs soupçonnent que HK2 peut prédisposer une fraction de la population à un comportement de dépendance.
Auparavant, des études ont établi un lien entre les HERV et les maladies auto-immunes, ainsi que d’autres effets nocifs.
Selon le Dr Magiorkinis, de l’université d’Athènes, qui a dirigé cette étude :
La plupart des gens pensent que ces anciens virus sont inoffensifs. De temps en temps, des individus ont montré une surexpression de HK2 dans le cancer, mais il a été difficile de distinguer la cause de l’effet. En 2012, à la suite d’une controverse de 20 ans concernant leur rôle pathogène chez l’homme, nous avons cherché à tester l’hypothèse que les HERV peuvent être responsables de maladies humaines. Notre proposition a été appuyée par le Conseil de recherches médicales, et nous avons maintenant de solides preuves que les HERV peuvent être pathogènes. Pour la première fois, nous sommes en mesure de faire une distinction entre la cause et l’effet de la pathogénicité du HERV.
Les nouveaux résultats peuvent constituer des preuves d’une cause physique de dépendance. Si c’est effectivement le cas, la manière dont la toxicomanie est traitée tant médicalement que dans la société, où elle est fortement stigmatisée, pourrait être bouleversée.
De nombreux utilisateurs de drogue sont incapables d’obtenir de l’aide à cause de la stigmatisation associée à leur dépendance. Un lien entre un caractère génétique et la dépendance pourrait mener à une révolution dans la façon dont la toxicomanie est perçue par le public.
L’étape suivante consiste à trouver un mécanisme réel par lequel HK2 manipule le système dopaminergique dans le cerveau. Comprendre le fonctionnement interne de ce potentiel mécanisme moléculaire pourrait également permettre aux scientifiques de mettre au point de meilleurs traitements contre la toxicomanie.
Pour le Dr Magiorkinis :
L’examen de cette partie « sombre » du génome permettra de percer d’autres secrets génomiques.
L’étude publiée dans The Proceedings of the National Academy of Sciences : Human Endogenous Retrovirus-K HML-2 integration within RASGRF2 is associated with intravenous drug abuse and modulates transcription in a cell-line model.