Une étude sur des dents fossilisées a révélé que plusieurs anciens groupes de crocodyliformes, la lignée qui comprend les crocodiles et les alligators, n’étaient pas carnivores du tout. En fait, ils étaient végétariens. L’équipe signale qu’au moins trois espèces différentes (mais potentiellement jusqu’à six) ont déjà eu recours à un régime à base de plantes dans le passé. Ils sont tous éteints.

Image d’entête : représentation artistique de deux membres des groupes de crocodyliformes, Chimaerasuchus et Pakasuchus, végétariens. (Jorge Gonzalez)

Selon Keegan Melstrom, étudiant au doctorat à l’université de l’Utah :

La chose la plus intéressante que nous ayons découverte est la fréquence à laquelle les crocodylidés éteints mangeaient des plantes. Notre étude indique d’après la forme complexe des dents, que l’herbivorie est apparue au moins trois fois et peut-être jusqu’à six dans la famille éteinte des crocodiles.

Tous les crocodiliens vivant aujourd’hui partagent en général la même forme corporelle, la même écologie et vivent leur vie de carnivores généralistes et semi-aquatiques. Étant carnivores, leurs dents sont relativement simples, des outils coniques utilisés pour déchirer et déchiqueter la chair et pas grand-chose d’autre. Melstrom et Randall Irmis, conservateur au Muséum d’histoire naturelle de l’Utah, ont comparé la complexité des dents de crocodilidés éteints et vivants en utilisant une méthode initialement développée pour les mammifères vivants. Dans l’ensemble, ils ont mesuré 146 dents de 16 espèces différentes de crocodilidés éteints.

Il est rapidement devenu évident que les espèces disparues présentaient une structure dentaire différente. Certaines espèces présentaient des spécialisations multiples que l’on ne retrouve plus chez les espèces vivantes aujourd’hui, y compris une caractéristique connue sous le nom d’hétérodontie : les différences localisées dans la taille et la forme des dents.

Images 3D en fausses couleurs montrant la diversité des formes des dents crocodylliformes. Les carnivores (à gauche), comme le caïman vivant, ont des dents simples, tandis que les herbivores (à droite) ont des dents beaucoup plus complexes. (Keegan Melstrom)

 

Selon Melstrom :

Les carnivores possèdent des dents simples alors que les herbivores ont des dents beaucoup plus complexes. Les omnivores, des organismes qui mangent à la fois des plantes et des animaux, se situent quelque part entre les deux. Une partie de mes précédentes recherches a montré que cette tendance se maintient chez les reptiles vivants qui ont des dents, comme les crocodiliens et les lézards.

Ces résultats nous ont montré que le modèle de base entre l’alimentation et les dents se retrouve chez les mammifères et les reptiles, malgré des formes de dents très différentes, et il est applicable aux reptiles éteints.

Grâce à des mesures dentaires et d’autres caractéristiques morphologiques, l’équipe a reconstitué l’alimentation des crocodilidés disparus. Les résultats suggèrent que ces espèces présentaient une plus grande complexité dentaire, et donc aussi pour leur régime alimentaire, que ce qui avait été estimé précédemment.

Les chercheurs précisent que les crocodyliformes mangeurs de plantes sont apparus assez tôt dans l’histoire évolutive du groupe, juste après l’extinction massive à la fin du Trias. Ces espèces ont vécu jusqu’à la fin du Crétacé, lorsque l’extinction massive des dinosaures a eu lieu. L’analyse de l’équipe montre que des espèces herbivores se sont développées au moins trois fois, peut-être jusqu’à six fois, au Mésozoïque.

Reconstitutions vivantes de crocodyliformes éteints. Les différences dans la forme des dents sont liées aux différences dans les régimes alimentaires. (Jorge Gonzalez)

Selon Melstrom :

Notre travail démontre que les crocodyliformes éteints avaient un régime alimentaire incroyablement varié. Certains ressemblaient à des crocodiliens vivants et ils étaient principalement carnivores, d’autres étaient omnivores et d’autres encore probablement spécialisés dans les plantes.

Les herbivores vivaient sur différents continents à différentes époques, certains aux côtés de mammifères et de descendants de mammifères, d’autres pas. Cela suggère qu’un crocodyliforme herbivore a réussi dans une variété d’environnements !

Leur travail n’est toutefois pas encore terminé. Il manque des dents à certains crocodilidés fossiles et, fort de la connaissance de la présente étude, Melstrom prévoit également de reconstituer leur régime alimentaire. Il veut aussi savoir pourquoi ces crocodiles éteints se sont si radicalement diversifiés après une extinction massive, mais pas l’autre, et si l’écologie alimentaire a pu jouer un rôle.

L’étude publiée dans Current Biology : Repeated Evolution of Herbivorous Crocodyliforms during the Age of Dinosaurs et présentée sur le site de l’université de l’Utah  : Some crocs of the past were plant eaters.