Sur les conséquences génétiques du commerce des esclaves africains
Jusqu’à il y a moins de deux siècles, des millions de personnes étaient arrachées de l’Afrique par des colonisateurs européens et emmenées de l’autre côté de l’Atlantique pour devenir des esclaves dans les Amériques.
Image d’entête : dessin (1794) du peintre anglais George Morland. Scène sur la côte ouest-africaine avec une famille africaine séparée par des négriers. (The Trustees of the British Museum)
Pour aider à démêler les effets persistants et omniprésents de cet asservissement, une étude génétique approfondie des populations a complété les données historiques recueillies par la grande base de données sur la traite des esclaves de l’université Emory (États-Unis), les confirmant dans leur ensemble, mais apportant de nouvelles informations.
Selon Steven Micheletti de la société de biotechnologie américaine 23andMe et auteur principal de l’étude (lien plus bas) :
Pour des millions de personnes dans les Amériques, l’histoire de la traite transatlantique des esclaves est l’histoire de leurs origines ancestrales.
L’équipe, qui comprend donc des chercheurs de 23andMe et de l’université de Leicester, au Royaume-Uni, a analysé les données génétiques de plus de 50 000 personnes des deux côtés de l’Atlantique, en étroite collaboration avec des historiens, des spécialistes des études afro-américaines et d’autres généticiens.
Comme prévu, ils ont trouvé des liens génétiques étroits entre les peuples des Amériques et les régions africaines où un plus grand nombre de personnes étaient asservies, la plupart ayant des racines en Angola et en République démocratique du Congo.
Une illustration d’esclaves, récupérés au Congo, sur le pont du « Wildfire » en direction de Cuba. (Tracy W. McGregor/ Library of American History/ University of Virginia Library)
Mais un examen plus approfondi a révélé de multiples déviations par rapport aux attentes du groupe, explique Micheletti.
Il a été notamment découvert que la plupart des Afro-Américains basés aux États-Unis ont tendance à avoir une forte ascendance nigériane, même si un nombre relativement faible de leurs ancêtres esclaves ont été emmenés directement aux États-Unis depuis l’actuel Nigeria.
Cela corrobore les récits historiques selon lesquels de nombreux esclaves ont été transportés à travers les Amériques après l’abolition de la traite transatlantique des esclaves, ce qui explique pourquoi ils ont trouvé de nombreux parents éloignés entre les Caraïbes et les États-Unis.
En revanche, les Afro-Américains avaient des liens génétiques moins importants que prévu avec les Sénégalais, peut-être parce que ces personnes avaient tendance à être transportées pour travailler dans des plantations de riz où le taux de mortalité dû à la malaria était élevé.
A partir de l’étude : direction principale des routes commerciales triangulaires pendant la traite transatlantique des esclaves. (Micheletti et Col./ American Journal of Human Genetics)
Une autre découverte importante et tragique fut le « biais génétique du sexe » chez les femmes africaines, montrant qu’elles se reproduisaient plus que les hommes africains, même si plus de 60% des personnes asservies étaient de sexe masculin.
Pour chaque homme africain d’Amérique centrale et du Sud et des Caraïbes, l’analyse a montré qu’environ 15 femmes africaines avaient des enfants.
Selon Micheletti :
Cela reflète les récits connus de viols et d’exploitation de femmes esclaves africaines. De manière inattendue, les préjugés sexuels étaient près de dix fois plus importants en Amérique latine qu’aux États-Unis, ce qui pourrait s’expliquer par les différences constatées dans le racisme systémique.
Aux États-Unis, les personnes réduites en esclavage étaient séparées et autorisées à avoir des enfants, un moyen probable de maintenir une main-d’œuvre esclave, connu sous le nom d’élevage d’esclaves.
À l’inverse, d’autres pays d’Amérique latine, comme le Brésil et Cuba, ont encouragé le blanchiment racial par le biais de programmes d’immigration visant à favoriser l’accouplement des hommes européens blancs avec des femmes africaines à la peau foncée afin de produire des enfants à la peau plus claire et de diluer l’héritage africain.
Cette situation, ainsi qu’une mortalité plus élevée, pourrait expliquer pourquoi la proportion de personnes ayant plus de 5 % d’ascendance africaine était 5 fois plus faible en Amérique latine, selon Micheletti, même si plus des deux tiers des Africains réduits en esclavage y débarquaient.
Son objectif est que l’étude aide les Afro-Américains à retrouver leurs racines et à mieux comprendre comment leurs ancêtres ont contribué à façonner leurs communautés.
Nous espérons que les lecteurs saisiront non seulement l’impact de la traite des esclaves, mais aussi les profondes contributions apportées par les Africains réduits en esclavage à l’histoire, l’économie et la culture des Amériques.
L’étude publiée dans The American Journal of Human Genetics : Genetic Consequences of the Transatlantic Slave Trade in the Americas.