Le diable de Tasmanie a rapidement évolué pour tolérer son dévastateur cancer transmissible
L’emblématique diable de Tasmanie (Sarcophilus harrisii) est particulièrement sujet à un cancer qui se propage par morsure, provoque de larges plaies sur la tête du marsupial et finit par entraîner sa mort.
La tumeur faciale transmissible du diable de Tasmanie (DFTD pour Devil Facial Tumour Disease), telle qu’elle est connue, a été observée pour la première fois en 1996, mais les scientifiques n’ont pas vraiment compris comment elle est devenue aussi agressive et infectieuse en seulement deux décennies.
Récemment, une collaboration internationale suggère que le cancer transmissible ne risque pas de condamner l’espèce.
Une équipe dirigée par l’université de l’État de Washington (WSU), aux États-Unis, a analysé les petites modifications du code génétique pour reconstruire l’épidémiologie et la propagation de ce cancer depuis son apparition dans les années 1990.
Un diable de Tasmanie atteint par la tumeur infectieuse. (université de l’État de Washington)
Ils ont découvert qu’elle devient endémique et présente un schéma de diminution du taux de transmission. Cela suggère, selon les chercheurs, que si on la laisse évoluer naturellement, la DFTD pourrait s’éteindre ou même coexister dans les populations de diables. Quoi qu’il en soit, l’extinction du diable est peu probable.
Selon Hamish McCallum de l’université Griffith d’Australie, coauteur d’une étude publiée cette semaine (lien plus bas) :
En raison de la pandémie de COVID-19, les gens se familiarisent avec le nombre R (nombre de reproduction de base) d’un agent pathogène, c’est-à-dire le nombre de personnes auxquelles une personne infectée transmettra le virus.
Notre analyse montre que le nombre de R a diminué pour le DFTD et que la maladie a maintenant ralenti. Un diable infecté a d’abord transmis la maladie à 2,5 autres animaux, mais maintenant chaque infection ne provoque plus qu’une ou plusieurs autres infections.
L’auteur principal Andrew Storfer de l’université de l’État de Washington, ajoute :
C’est une bonne nouvelle, d’un optimisme prudent. Je pense que nous allons assister à une survie continue des diables à des nombres et des densités inférieurs à la taille des populations initiales, mais l’extinction semble vraiment improbable malgré les prédictions d’il y a 10 ans.
(Université Griffith)
Les chercheurs ont passé au crible plus de 11 000 gènes provenant d’échantillons de DFTD pour trouver 28 gènes qui ont changé de manière « horlogère », présentant des mutations qui s’accumulaient rapidement au fil du temps.
Selon McCallum :
Pour apprécier l’ampleur de ce travail, les 28 gènes identifiés sont constitués de plus de 430 000 paires de bases, les unités fondamentales de l’ADN, par rapport à l’ensemble du génome du virus du SRAS-CoV-2 qui provoque le COVID-19, qui ne possède que 29 000 paires de bases d’ARN.
La technique de dépistage, connue sous le nom de phylodynamique, est généralement utilisée pour suivre la manière dont des virus tels que le SRAS-CoV-2 et la grippe se propagent et évoluent dans le temps, sur la base d’une connaissance détaillée des changements de leur information génétique.
La nouvelle étude démontre que la technique n’est pas nécessairement limitée aux virus et qu’elle peut être appliquée à un large éventail d’autres agents pathogènes émergents chez les différentes espèces, indiquent les chercheurs. Jusqu’à présent, son application aux agents pathogènes non viraux se trouvait limitée par les difficultés liées à la taille plus importante de leur génome.
Les résultats suggèrent également que la pratique de gestion active consistant à relâcher dans la nature des diables élevés en captivité n’est peut-être pas nécessaire et pourrait même, selon Storfer, être nuisible.
Cette étude suggère que les diables de Tasmanie ont rapidement évolué dans la nature et se sont modifiés génétiquement pour tolérer ou résister au cancer. Si nous relâchions des animaux captifs, élevés dans des populations qui n’ont pas été exposées à la maladie, nous courrions le risque de ralentir ou même d’inverser ces changements génétiques.
L’étude publiée dans PLOS Science : Evolution and lineage dynamics of a transmissible cancer in Tasmanian devils et présentée sur le site de l’université de l’État de Washington : Tasmanian devils may survive their own pandemic.