Désextinction : des scientifiques pensent pouvoir ressusciter un rat disparu il y a plus de 100 ans, mais ils se demandent si c’est bien le moment…
Depuis qu’ils sont devenus un concept populaire dans les années 1990, les projets de désextinction se sont concentrés sur les grands animaux à la stature mythique. Malgré les avertissements alarmants lancés par des superproductions hollywoodiennes comme Jurassic Park, nous persistons à imaginer nos paysages modernes, à l’aube d’une 4e extinction massive, peuplés de bêtes absentes depuis des milliers, voire des millions d’années.
Image d’entête : ancienne illustration du rat de l’île Christmas, alors classé parmi les souris. (Wikimedia/ Biodiversity Heritage Library)
Mais même si le processus de désextinction passe rapidement du domaine de la fiction à celui de la réalité, une équipe de paléogénéticiens estime que nous devrions concentrer notre attention sur des objectifs plus réalisables que les dinosaures. Dans une étude génomique publiée cette semaine (lien plus bas), ils affirment avoir trouvé le candidat idéal : Rattus macleari, le rat de l’île Christmas.
Les dinosaures se sont éteints il y a 65 millions d’années. Les mammouths ont disparu depuis 4 000 ans. Mais les rats de l’île Christmas ? Nous les avons perdus il y a seulement 119 ans, lorsque la maladie apportée par les navires européens a décimé leurs populations.
Après avoir récemment disparu, le rat de l’île Christmas compte encore aujourd’hui de nombreuses espèces étroitement apparentées. La principale est le rat brun de Norvège, avec lequel il partage environ 95 % de son génome, un facteur qui pourrait déterminer la capacité de ramener le rat disparu d’entre les morts.
Rat brun (Rattus norvegicus) qui sert de modèle génétique pour leurs camarades disparus. (Henrik Bringsøe)
Le travail de désextinction est défini par ce qui est inconnu. Lorsqu’ils séquencent le génome d’une espèce disparue, les scientifiques sont confrontés au défi de travailler avec de l’ADN dégradé, qui ne fournit pas toutes les informations génétiques nécessaires pour reconstruire le génome complet de l’animal disparu. Mais un animal tel que le rat de l’île Christmas, ainsi que son cousin génétique le rat brun de Norvège, est une sorte de mine d’or pour les généticiens de l’évolution.
De la même manière que pour le thylacine et la souris marsupiale, le génome du rat vivant sert de guide pour assembler celui du rat disparu. Après avoir obtenu la quasi-totalité du génome du rat de l’île Christmas à partir d’échantillons de peau bien conservés, les chercheurs peuvent utiliser le génome du rat brun de Norvège pour identifier les éventuelles lacunes. Ensuite, en théorie, ils peuvent utiliser la technologie CRISPR pour modifier l’ADN du rat vivant afin qu’il corresponde à celui du rat disparu.
Selon le Dr Tom Gilbert, de l’université de Copenhague au Danemark :
C’était un modèle d’essai assez intéressant. C’est le cas parfait, car lorsque vous séquencez le génome, vous devez le comparer à une très bonne référence moderne.
En théorie, les chercheurs affirment qu’il y a suffisamment d’informations génétiques disponibles pour ressusciter cette espèce récemment éteinte, même s’il ne s’agira pas d’une copie parfaite.
Toujours selon Gilbert :
Avec la technologie actuelle, il est peut-être totalement impossible de récupérer un jour la séquence complète, et il est donc impossible de générer un jour une réplique parfaite du rat de l’île Christmas.
La réplique du rat ne différerait que par quelques gènes essentiels, dont la plupart sont liés à l’olfaction. Ainsi, bien qu’à nos yeux, le rat ressuscité serait impossible à distinguer de ses compagnons disparus, il ne traiterait probablement pas les odeurs de la même manière qu’autrefois, ce qui pourrait entraîner des différences comportementales mineures.
Il s’agit d’un problème qui n’est pas près d’être résolu.
Il est très, très clair que nous ne serons jamais en mesure d’obtenir toutes les informations pour créer une forme récupérée parfaite d’une espèce éteinte. Il y aura toujours une sorte d’hybride.
Mais en termes pratiques, un si faible degré d’hybridation est-il significatif ? Peut-être pas, répond Gilbert. Selon lui, l’essentiel n’est pas de savoir dans quelle mesure l’espèce ressuscitée se rapproche exactement de ses homologues disparus, mais dans quelle mesure elle est fonctionnellement différente des espèces vivantes d’aujourd’hui.
Selon Gilbert, pour créer un mammouth écologiquement fonctionnel, par exemple, il pourrait suffire de modifier l’ADN de l’éléphant pour que l’animal soit poilu et capable de vivre dans le froid.
Si l’on fabrique un éléphant bizarre et duveteux destiné à vivre dans un zoo, il importe probablement peu qu’il lui manque certains gènes comportementaux. Mais cela soulève toute une série de questions éthiques.
Pour l’instant, les chercheurs envisagent de regarder encore plus près de chez eux, en travaillant uniquement avec des espèces encore vivantes. Bien qu’il puisse sembler surprenant de tester des technologies de désextinction sur des espèces vivantes, Gilbert affirme que l’essai de modifications génétiques CRISPR sur le génome d’un rat noir pour en faire celui d’un rat brun de Norvège pourrait être un moyen important de tester le processus avant de faire le saut pour ressusciter le rat de l’île Christmas.
Bien que Gilbert voit un énorme potentiel dans les recherches des équipes, il indique que le processus le fait encore hésiter.
Pour Gilbert :
Je pense que c’est une idée fascinante en matière de technologie, mais on peut se demander si c’est la meilleure façon d’utiliser l’argent plutôt que de garder en vie les choses qui sont encore là.
L’étude publiée dans Current Biology : Probing the genomic limits of de-extinction in the Christmas Island rat et présentée sur le site de l’Université de Copenhague : De-extinction – Recovering most of a lost species.