Une dent vieille de 150 000 ans représente une rare preuve de la présence des Dénisoviens
Les Dénisoviens, ces mystérieux humains primitifs identifiés pour la première fois dans une grotte de Sibérie, ont également vécu dans les terres. Nous le savons parce que les Papous et les indigènes Australiens portent leur ADN (environ 4 % a été légué par un ancêtre dénisovien).
Image d’entête : la molaire d’une Dénisovienne âgée de 4-6 ans. (Fabrice Demeter)
Depuis cette découverte en 2010, la course est lancée pour trouver les restes réels d’un Dénisovien dans cette partie du monde. Aujourd’hui, une équipe internationale pourrait les avoir trouvés sous la forme d’une dent vieille de 160 000 à 130 000 ans, déterrée dans la grotte Cobra, dans les montagnes isolées de l’Annamite, au nord du Laos.
Selon le géoarchéologue Mike Morley, membre de l’équipe de l’université Flinders, en Australie :
Nous avons découvert le « pistolet fumant » : cette dent de dénisoviens montre qu’ils étaient autrefois présents aussi loin au sud. C’est incroyablement excitant ; nous ne les avions jamais vus dans un climat chaud auparavant.
En dehors de l’équipe de recherche, certains restent circonspects quant à la nature de la dent.
Pour l’anthropologue chevronné Chris Stringer, responsable de la recherche sur les origines humaines au British Natural History Museum :
Les auteurs ont fait un excellent travail de description et de datation, mais je préférerais dire qu’il s’agit d’un fossile putatif de dénisovien.
Les Dénisoviens sont les seuls humains archaïques à avoir été identifiés par leur seul ADN. Le premier indice provient d’un fragment d’os de doigt, l’un des de l’auriculaire, trouvé dans un fouillis de fragments d’os dans la grotte de Denisova, près de la frontière entre la Sibérie et la Chine. L’os de l’auriculaire semblait provenir d’un humain. Mais son ADN a montré que, bien que ressemblant, il ne provenait pas d’un humain moderne ou d’un Néandertalien, mais de quelque chose de tout à fait distinct.
Cet ADN était si particulier que les généticiens ont pu en repérer les traces dans les populations humaines modernes. L’ADN des Eurasiens voisins n’en portait que 0,1 %, mais à l’autre bout du monde, l’ADN des Papous et des Australiens autochtones en portait 4 %.
Portrait d’une jeune Dénisovienne d’après un profil squelettique reconstitué à partir d’anciens modèles de méthylation de l’ADN.(Maayan Harel)
Selon l’histoire de l’ADN, les Dénisoviens se sont probablement croisés avec des humains modernes quelque part en Asie du Sud-Est. Où étaient donc leurs restes physiques ?
Les seuls autres restes de Dénisoviens à ce jour ont été identifiés en 2019, lorsqu’une mâchoire surdimensionnée de type humain avec d’énormes dents, initialement trouvée par un moine méditant dans une grotte tibétaine, s’est avérée être un Dénisovien. L’identification a été faite une fois que les chercheurs ont extrait la protéine de collagène des très grandes dents et qu’ils ont constaté qu’elle correspondait à celle prédite par la séquence d’ADN de Dénisovien. La grotte de Denisova a également livré plus tard trois grandes dents de Dénisovien.
Pour trouver des fossiles de dénisoviens aux antipodes, la plupart des experts ont parié sur les îles qui servent de tremplin entre le continent asiatique et l’Australie/ Papouasie-Nouvelle-Guinée. Les montagnes annamites n’étaient pas sur le radar des chasseurs de Dénisoviens. Mais elles l’étaient pour Fabrice Demeter, paléoanthropologue à l’université de Copenhague et auteur principal de la nouvelle étude. Il s’y était rendu pour répondre à une autre question : comment les humains modernes ont-ils voyagé d’Afrique en Asie ? Le Laos s’est avéré être une partie importante de l’itinéraire : en 2012, la « grotte des singes », ou grotte de Tam Pa Ling, a livré les plus anciens restes d’humains modernes en Asie du Sud-Est continentale, avec une mâchoire datant d’environ 70 000 ans.
Mais des alpinistes aventureux avaient également trouvé une autre grotte prometteuse à proximité, la grotte du Cobra, ou Tam Ngu Hao 2.
La grotte Cobra dans le nord du Laos. (Fabrice Demeter)
Contrairement à la grotte des singes, elle n’était pas habitable. Mais elle servait, comme les grottes calcaires, de piège pour les fossiles emportés des collines environnantes lors des inondations. À l’intérieur, un dépôt de gravier cimenté s’est avéré être un trésor d’os fossilisés, principalement des dents d’herbivores géants tels que d’anciens bisons, éléphants et rhinocéros. Au milieu de ces ossements se trouvait un joyau : une molaire humaine d’apparence primitive.
Quel âge avait-elle ? L’archéologie étant sujette à des discussions sur les dates, les chercheurs ont déployé des approches indépendantes. Kira Westaway, de l’université Macquarie, a daté le dépôt de gravier cimenté par luminescence stimulée par infrarouge. Jian-Xin Zhao, de l’Université du Queensland, a daté le plancher stalagmitique situé au-dessus du gravier en utilisant une série d’uranium. Renaud Joannes-Boyau de l’Université Southern Cross, à Lismore, a daté les dents d’animaux en utilisant une série d’uranium combinée à une technique de résonance paramagnétique électronique (la dent d’hominidé était trop précieuse pour être percée).
Enfin, Mike Morley, de l’université Flinders, a examiné au microscope des tranches très fines des dépôts cimentés afin de vérifier l’intégrité de la structure. Les pierres de ce gâteau de ciment ont-elles toutes été cuites en même temps, ou certaines sont-elles tombées plus tard, peut-être lorsqu’une racine d’arbre a percé la couche ?
Les analyses médico-légales sont unanimes : la couche est intacte et a été déposée il y a entre 164 000 et 131 000 ans. L’âge minimum de la dent était donc de 131 000 ans. Elle n’appartenait pas à un humain moderne.
Si la grotte s’était trouvée dans l’hémisphère nord, le principal suspect aurait été un Néandertalien, mais on n’avait jamais trouvé de dent de ce type aussi loin au sud. Pourrait-il s’agir, enfin, d’un vestige du Dénisovien du sud, longtemps recherché ?
La dent ne contenait pas d’ADN permettant de l’identifier, ce qui n’est pas surprenant puisque les tropiques ne sont pas propices à la conservation de l’ADN. On a donc fait appel à Clément Zanolli, expert en identification des dents d’hominidés à l’université de Bordeaux, en France, pour trancher. Sa méthode s’apparente à l’approche traditionnelle consistant à identifier les espèces à partir du motif des cuspides des molaires, mais avec une avancée technologique. Au lieu d’examiner les cuspides extérieures, qui peuvent être usées ou cassées, il utilise un scanner miniature pour observer le motif intact situé juste sous la couche d’émail, appelée jonction émail-dentine.
Zanolli a utilisé sa technique pour examiner la jonction émail-dentine de divers membres de la famille humaine archaïque d’Asie du Sud-Est, notamment l’Homo erectus indonésien, le petit Homo luzonensis (trouvé sur l’île de Luzon, aux Philippines) et l’Homo floresiensis (trouvé sur l’île indonésienne de Flores). Son analyse a placé la dent le plus près de celle des Denisoviens trouvés dans la grotte tibétaine et la grotte Denisova.
Des traces de protéines provenant de l’émail de la dent suggèrent également que le propriétaire était une jeune femme, car aucune version de la protéine amélogénine spécifique aux hommes n’a été détectée.
Mais pour savoir s’il s’agissait vraiment d’un dénisovien tropical, il faudra trouver d’autres spécimens de son espèce.
L’étude publiée dans Nature Communications : A Middle Pleistocene Denisovan molar from the Annamite Chain of northern Laos et présentée sur le site de l’Université de Copenhagen : Molar reveals that the mysterious human species Denisovans could adapt to extreme climate.