La plus ancienne fourmi légionnaire découverte révèle que cet emblématique prédateur colonisait autrefois l’Europe
Les dorylines (Dorylinae) des fourmis légionnaires (army ant) font partie des plus grandes sociétés d’insectes de la planète. Elles vivent en colonies, consomment de grandes quantités d’arthropodes (invertébrés à pattes articulées) et sont nomades, se déplaçant dans le monde entier pour ne pas manquer de nourriture.
Image d’entête : l’ancienne dorylines incrustée dans l’ambre. (Christine Sosiak)
Leur mode de vie les a amenées sur la plupart des continents de la Terre, avec plus de 200 espèces de fourmis dorylines vivant aujourd’hui dans l’hémisphère oriental et environ 150 en Amérique du Nord et du Sud. Grâce à la découverte d’un nouveau fossile, des scientifiques ont découvert que ces prédateurs vivaient autrefois en Europe, même s’ils ne se nourrissent plus aujourd’hui sur le continent.
Des chercheurs de l’Université d’État du Colorado et du New Jersey Institute of Technology (États-Unis) détaillent dans leur étude (lien plus bas) la découverte de la plus ancienne dorylines jamais recensée. Le spécimen a été conservé dans de l’ambre de la Baltique, datant de l’époque éocène (il y a environ 35 millions d’années), et il mesure environ trois millimètres de long.
Les chercheurs ont baptisé ce spécimen sans yeux Dissimulodorylus perseus (D. perseus), en référence au héros mythique grec Persée, qui a triomphé de la gorgone Méduse avec une vision limitée. Il s’agit seulement de la deuxième espèce de dorylines fossile décrite, et la première retrouvée dans l’hémisphère oriental.
Selon Phillip Barden, coauteur de l’étude :
Cet ambre aurait été extrait avant ou autour des années 1930, donc apprendre aujourd’hui qu’elle contenait une fourmi légionnaire rare est assez surprenant, et encore plus surprenant lorsqu’il s’agit de démontrer que ces fourmis vivaient en Europe. Avec ce fossile, nous avons obtenu un rare hublot paléontologique dans l’histoire de ces prédateurs uniques.
A partir de l’étude : la reconstitution de la fourmi D. perseus réalisée par les chercheurs présente des similitudes avec certaines fourmis légionnaires vivant aujourd’hui. (Christine E. Sosiak et col./ Biology Letters)
Pour les chercheurs, ce fossile de fourmi apporte la preuve de l’existence de lignées de dorylines inconnues jusqu’alors, qui auraient existé à travers l’Europe continentale avant de s’éteindre à un moment donné au cours des 50 derniers millions d’années. Le fossile était en fait caché, à la vue de tous, parmi de nombreux autres au musée universitaire de zoologie comparée de Harvard.
Selon Christine Sosiak, auteure principale de l’étude :
Le musée abrite des centaines de tiroirs remplis de fossiles d’insectes, mais je suis tombée par hasard sur un minuscule spécimen étiqueté comme un type commun de fourmi alors que je rassemblais des données pour un autre projet. Une fois que j’ai mis la fourmi sous le microscope, j’ai immédiatement réalisé que l’étiquette était inexacte.
Les chercheurs indiquent que, lorsque le fossile de fourmi s’est formé, l’Europe avait un climat beaucoup plus chaud et humide qu’aujourd’hui. Cela aurait pu constituer un cadre de vie idéal pour ces fourmis, qui préfèrent un environnement plus humide et tropical. L’Europe a connu plusieurs cycles de refroidissement au fil des années, devenant probablement inhospitalière pour les fourmis.
Les chercheurs ont également découvert une glande antibiotique élargie sur le fossile, que l’on trouve généralement chez les autres fourmis légionnaires et qui les aide à vivre sous terre. Cette glande suggère que la fourmi légionnaire européenne était bien adaptée à la vie souterraine. Sosiak a déclaré qu’il s’agissait d’une découverte heureuse, car les fourmis étaient moins susceptibles d’entrer en contact avec la résine d’arbre qui forme les fossiles.
Pour Sosiak, le spécimen fossilisé était probablement une ouvrière de fourmi légionnaire qui, de son vivant, transportait les larves de sa reine et faisait des raids alimentaires avec des fourmis soldats. Elle s’est probablement perdue parmi ses compagnes de chasse et elle est tombée dans de la résine d’arbre collante, qui a fini par se solidifier et par enfermer la fourmi, ce qui a permis à l’équipe de l’étudier aujourd’hui.
L’étude publiée dans Biology Letters : An Eocene army ant et présentée sur le site du New Jersey Institute of Technology : Oldest Army Ant Ever Discovered Reveals Iconic Predator Once Raided Europe.