Comme pour l’humain, les micro-ARN présents dans le cerveau des pieuvres pourraient avoir évolué pour les rendre encore plus intelligentes
Les pieuvres ne sont pas des créatures océaniques avec lesquelles il faut plaisanter. Elles construisent des villes, aiment se projeter de la boue et peuvent s’échapper de presque n’importe quel endroit où vous les placez.
Image d’entête : Céphalopodes jouant avec des micro-ARN (jaune) : les micro-ARN pourraient être liés à l’émergence de cerveaux complexes chez les céphalopodes. (Grygoriy Zolotarov/ Max Delbrück Center)
Une nouvelle étude (lien plus bas) a tenté de décoder ce qui rend les pieuvres tellement plus intelligentes que les autres invertébrés et elle est tombée sur une curieuse caractéristique : elles ont beaucoup plus de micro-ARN que ce à quoi on pourrait s’attendre.
Selon le premier auteur de l’étude, le généticien Grygoriy Zolotarov du Centre de régulation génomique de Barcelone, en Espagne :
Il s’agit de la troisième plus grande expansion de familles de microARN dans le monde animal, et la plus grande en dehors des vertébrés.
Pour vous donner une idée de l’échelle, les huîtres, qui sont également des mollusques, n’ont acquis que cinq nouvelles familles de microARN depuis les derniers ancêtres qu’elles partageaient avec les pieuvres, alors que les pieuvres en ont acquis 90 !.
Les pieuvres ont des yeux « caméra » complexes, comme ici chez un jeune animal. (Nir Friedman/ Max Delbrück Center)
Le micro-ARN (ou miARN) est un petit type d’ARN qui peut réduire au silence ou réguler d’autres types d’ARN. Cela peut sembler contre-intuitif, mais cela aide les cellules à contrôler les types et les quantités de protéines qu’elles fabriquent.
Bien qu’ils soient un peu énigmatiques, les miARN sont incroyablement importants. Des études sur les animaux ont montré que l’élimination de gènes miARN peut créer des défauts dans le développement de diverses parties du corps ou provoquer l’épilepsie, la surdité ou le cancer.
La nouvelle étude suggère que les miARN sont non seulement nécessaires pour l’intégrité physique des vertébrés, mais qu’ils pourraient également avoir un rapport avec notre intelligence.
Selon les chercheurs dans leur étude :
Nous montrons que la principale innovation en matière d’ARN des céphalopodes à corps mou est une expansion du répertoire génétique des miARN.
L’explosion notable du répertoire génétique des miRNA chez les céphalopodes coléoïdes peut indiquer que les miRNA et, peut-être, leurs fonctions neuronales spécialisées sont profondément liés et peut-être nécessaires à l’émergence de cerveaux complexes chez les animaux.
L’équipe a séquencé 18 tissus de pieuvres adultes, elle a analysé des ensembles de données provenant de plusieurs espèces de pieuvres, puis elle a examiné l’évolution des miARN, depuis l’époque à laquelle les espèces à symétrie bilatérale (bilatériens) se sont séparées des éponges et autres espèces similaires (cnidaires).
Ils ont découvert que les nouveaux miARN évolutifs des pieuvres étaient principalement axés sur le développement du tissu cérébral, ce qui suggère qu’il pourrait s’agir de la formule secrète de l’intelligence des pieuvres.
A partir de l’étude : schéma du haut, représentation schématique des tissus échantillonnés dans l’étude. Les tissus neuronaux et non-neuronaux sont colorés en bleu et jaune, respectivement. Schéma du bas, cerveau et structures environnantes. (Grygoriy Zolotarov et col./ Science Advances)
Pour le professeur Nikolaus Rajewsky, biologiste au Centre Max Delbrück de médecine moléculaire, en Allemagne :
C’est ce qui nous relie à la pieuvre !
L’être humain a également développé un grand nombre de miARN, comme la plupart des vertébrés, ainsi l’équipe pourrait être sur une piste.
Les chercheurs espèrent maintenant créer de nouvelles méthodes pour pouvoir analyser l’intelligence des pieuvres. Mais convaincre une pieuvre de faire partie d’une expérience scientifique est plus difficile qu’il n’y paraît.
Les pieuvres possèdent à la fois un cerveau central et un système nerveux périphérique, capable d’agir indépendamment. (Nir Friedman/ Max Delbrück Center)
Selon Rajewsky :
Si vous effectuez des tests avec des petits en-cas en guise de récompense, ils s’en désintéressent rapidement.
Les chercheurs envisagent maintenant d’appliquer une technique qui rendra les cellules des tissus des pieuvres visibles au niveau moléculaire.
Selon Zolotarov :
Les pieuvres n’étant pas des organismes modèles typiques, nos outils de biologie moléculaire étaient très limités. Ainsi, nous ne savons pas encore exactement quels types de cellules expriment les nouveaux microARN.
L’étude publiée dans Science Advances : MicroRNAs are deeply linked to the emergence of the complex octopus brain et présentée sur le site du Max Delbrück Center : What octopus and human brains have in common.