Des neurones en boites ont appris à jouer à Pong
Des scientifiques australiens ont démontré qu’il était possible d’apprendre à des amas de cellules cérébrales placées dans une boîte de laboratoire à jouer au jeu Pong de manière approximative. C’est la première fois que ces cellules sont capables d’effectuer des tâches dirigées vers un but, et cela devrait ouvrir la voie vers de nouvelles connaissances sur le cerveau.
Le système, que l’équipe appelle « DishBrain », est plus ou moins exactement ce qu’il semble être : 800 000 neurones humains et de souris développés en culture et montés sur des réseaux de microélectrodes qui peuvent lire leur activité et les stimuler avec des signaux électriques. Dans de précédents travaux, ce type d’installation a été utilisé pour étudier le développement et les maladies neurologiques, mais c’est la première fois que l’on apprend à ces cerveaux cultivés en laboratoire à effectuer une tâche spécifique.
GIF d’entête : le « Dishbrain » en action. Image microscopique de cellules neuronales dans laquelle des marqueurs fluorescents révèlent différents types de cellules. Le vert désigne les neurones et les axones, le violet les neurones, le rouge les dendrites et le bleu toutes les cellules. Lorsque plusieurs marqueurs sont présents, les couleurs sont fusionnées et apparaissent généralement en jaune ou en rose, selon la proportion de marqueurs. (Cortical Labs)
L’équipe a placé les cellules cérébrales dans une reconstitution virtuelle du jeu d’arcade classique Pong, où les cellules elles-mêmes jouaient le rôle de la raquette et devaient faire rebondir une balle simulée en temps voulu. Des électrodes situées de part et d’autre du DishBrain émettaient des signaux indiquant l’emplacement de la balle à un moment donné, tandis que la fréquence des signaux augmentait ou diminuait pour indiquer la distance entre la balle et la raquette. Les neurones devaient envoyer leurs signaux pour déplacer la palette virtuelle et frapper la balle.
Image au microscope électronique à balayage d’une culture de neurones qui a poussé pendant plus de six mois sur un réseau multi-électrodes à haute densité. Quelques cellules neurales se développent à la périphérie et elles ont développé des réseaux complexes qui recouvrent les électrodes au centre. (Cortical Labs)
Selon le Dr Adeel Razi, coauteur de l’étude :
Cette nouvelle capacité à apprendre à des cultures cellulaires à effectuer une tâche dans laquelle elles font preuve de sensibilité, en contrôlant la raquette pour renvoyer la balle par détection, ouvre de nouvelles possibilités de découverte qui auront de profondes conséquences sur la technologie, la santé et la société.
L’entraînement de DishBrain fut naturellement délicat. La récompense et la punition sont généralement essentielles pour entraîner un organisme à effectuer une tâche spécifique, mais cela ne fonctionnera pas sur ces cultures cellulaires, car elles n’ont pas de système de dopamine pour les inciter. À la place, les chercheurs ont tiré parti de ce que l’on appelle le principe de l’énergie libre.
Essentiellement, cette idée veut que les cellules à ce niveau essaient toujours de minimiser l’imprévisibilité de leur environnement. Ainsi, si les cellules cérébrales ne parvenaient pas à frapper la balle avec leur raquette, le système leur délivrait un stimulus imprévisible pendant quatre secondes, mais pour chaque coup réussi, elles recevaient un bref signal prévisible avant que le jeu ne se poursuive, également de manière prévisible. Grâce à cette méthode, DishBrain a appris à jouer au jeu en 5 minutes.
A partir de l’étude : film représentatif d’une raquette contrôlée par l’activité de neurones vivants pour jouer à un jeu simulé de « Pong ».(Cortical Labs)
Selon le professeur Karl Friston, coauteur de l’étude :
L’aspect novateur et magnifique de ce travail consiste à doter les neurones de sensations, le retour d’information, et surtout de la capacité d’agir sur leur monde. De façon remarquable, les cultures ont appris à rendre leur monde plus prévisible en agissant sur lui. C’est étonnant parce qu’il est impossible d’enseigner ce type d’auto-organisation, tout simplement parce que, contrairement à un animal domestique, ces mini-cerveaux n’ont aucun sens de la récompense et de la punition.
Résumé graphique de l’étude. (Brett J. Kagan et col./ Neuron)
Cette expérience peut paraître un peu étrange et éthiquement discutable, mais d’autres scientifiques expliquent que ce n’est pas une sorte d’intelligence dont nous devons nous inquiéter de maltraitance.
Selon la professeure Tara Spires-Jones, responsable du programme du UK Dementia Research Institute :
Ne vous inquiétez pas, même si ces plats de neurones peuvent modifier leurs réponses en fonction de la stimulation, il ne s’agit pas d’une intelligence de style science-fiction dans un récipient, ce sont de simples réponses de circuit (bien qu’intéressantes et scientifiquement importantes.
Les chercheurs de l’étude affirment que ces nouveaux travaux peuvent contribuer à améliorer notre compréhension du cerveau humain, en utilisant un modèle plus précis que les simulations informatiques. Les prochaines étapes consisteront à étudier les effets des drogues et de l’alcool sur les neurones, et notamment à déterminer s’ils altèrent la capacité des cellules à jouer au jeu.
L’étude publiée dans Neuron : In vitro neurons learn and exhibit sentience when embodied in a simulated game-world et présentée par le Cortical Labs via Science In Public : Human brain cells in a dish learn to play Pong.