Le "chat de Schrödinger" le plus lourd du monde repousse les limites quantiques
La célèbre expérience conceptuelle du chat de Schrödinger résume parfaitement un phénomène quantique complexe, illustrant la bizarrerie de ce monde invisible de l’infiniment petit en l’exprimant dans des termes que l’on peut visualiser. Aujourd’hui, des scientifiques ont créé le chat de Schrödinger le plus lourd à ce jour, sondant ainsi les frontières entre la physique quantique et la physique classique.
Image d’entête : des scientifiques de l’ETH Zurich ont progressé dans la création de chats de Schrödinger plus lourds, qui peuvent être vivants (en haut) et morts (en bas) en même temps. (Yiwen Chu/ ETH Zurich)
Les particules à l’échelle quantique peuvent se comporter différemment de ce que notre expérience quotidienne nous permet d’imaginer. Par exemple, il est tout à fait normal que des particules existent dans une superposition de deux états à la fois, ou même qu’elles se trouvent à plusieurs endroits simultanément, ce qui n’est pas possible à l’échelle macroscopique. Mais pourquoi ne pouvons-nous pas avoir le beurre et l’argent du beurre ? Où se situe exactement la ligne qui sépare les domaines de la physique quantique et de la physique classique ?
C’est là qu’intervient le chat de Schrödinger. Dans le scénario théorique, un chat est enfermé dans une boîte avec un compteur Geiger, un marteau, une fiole de poison et une source radioactive. Si un atome de la source radioactive se désintègre, le compteur Geiger le détecte et lâche le marteau, qui brise la fiole, libère le poison et tue le chat. Cependant, l’atome radioactif peut exister dans une superposition de deux états, selon la physique quantique. Mais par extension, cette superposition devrait également s’appliquer à l’ensemble du système, de sorte que le chat est à la fois vivant et mort. Ce n’est que lorsqu’un observateur ouvre la boîte et jette un coup d’œil à l’intérieur que la superposition s’effondre dans l’un ou l’autre état.
Diagramme de l’expérience de pensée du chat de Schrödinger. (Wikimedia)
Le célèbre félin a été imaginé pour la première fois en 1935 par le physicien théoricien Erwin Schrödinger, à l’origine pour souligner ce qu’il considérait comme des aberrations de la mécanique quantique, mais qui est finalement devenu une question fondamentale : à quel moment la superposition quantique prend-elle fin et la réalité « choisit-elle » l’une ou l’autre possibilité ?
Pour aider à trouver une réponse, des scientifiques suisses de l’ETH Zurich ont créé le « chat de Schrödinger » le plus lourd à ce jour : un cristal pesant 16 microgrammes, soit à peu près le poids d’un grain de sable fin. C’est évidemment bien plus petit qu’un chat, mais c’est quelques milliards de fois plus lourd qu’un atome ou une molécule, qui ont déjà été utilisés dans ce type d’expériences. Même une précédente expérience impliquant 2 000 atomes était beaucoup plus légère.
Bien entendu, la question n’est pas de savoir si le cristal est vivant ou mort, mais s’il oscille « vers le haut » ou « vers le bas ». Comme pour le chat, l’état du cristal est lié à un déclencheur quantique, dans ce cas, un circuit supraconducteur qui génère un champ électrique, lequel interagit avec un autre champ électrique créé par les oscillations du cristal sur un matériau qui les sépare.
Dans l’expérience de l’ETH Zurich, le chat est représenté par des oscillations dans un cristal (en haut et agrandissement à gauche), tandis que l’atome en désintégration est émulé par un circuit supraconducteur (en bas) couplé au cristal. (Yiwen Chu/ ETH Zurich)
L’équipe a pu mesurer les oscillations du cristal et elle a constaté qu’elles s’installaient dans une superposition des deux états. Cela rapproche encore plus le domaine de la physique quantique de l’échelle macroscopique, et cela pourrait aider les scientifiques à mieux déterminer où se trouve la limite.
Pour Yiwen Chu, chercheur principal de l’étude :
Cette découverte est intéressante; car elle nous permettra de mieux comprendre la raison de la disparition des effets quantiques dans le monde macroscopique des vrais chats.
Il ne s’agit pas non plus d’une étude purement théorique. Selon l’équipe, les cristaux pourraient permettre de fabriquer des ordinateurs quantiques plus robustes, voire de futurs détecteurs de matière noire et d’ondes gravitationnelles.
L’étude publiée dans Science : Schrödinger cat states of a 16-microgram mechanical oscillator et présentée sur le site de l’ETH Zurich : Fat quantum cats.