La décharge électrique de l’anguille peut transférer des gènes aux animaux à proximité
Une nouvelle étude révèle que l’électricité produite par la décharge d’une anguille électrique est suffisamment puissante pour provoquer le transfert de matériel génétique de l’environnement vers les cellules d’animaux proches. Cette découverte suggère que les anguilles électriques, et d’autres organismes produisant de l’électricité, pourraient avoir un effet sur la modification génétique dans la nature.
Image d’entête : une anguille Electrophorus electricus. (flickr/ Scott Hanko)
En laboratoire, l’électroporation consiste à appliquer un champ électrique aux cellules afin d’augmenter la perméabilité de leur membrane cellulaire, ce qui permet d’y introduire de l’ADN étranger. C’est cette technique qui est utilisée pour produire les souris knock-out utilisées dans les expériences de recherche, ainsi que dans le traitement des tumeurs et les thérapies géniques et cellulaires.
Une nouvelle étude menée par des chercheurs de l’université de Nagoya, au Japon, suggère que l’anguille électrique est capable d’électroporation dans son environnement naturel.
Selon Atsuo Iida, auteur correspondant de l’étude (lien plus bas) :
J’ai pensé que l’électroporation pouvait se produire dans la nature. Je me suis rendu compte que les anguilles électriques du fleuve Amazone pouvaient très bien servir de source d’énergie, que les organismes vivant dans la zone environnante pouvaient servir de cellules réceptrices et que les fragments d’ADN environnementaux libérés dans l’eau deviendraient des gènes étrangers, provoquant une recombinaison génétique dans les organismes environnants en raison de la décharge électrique.
Plus grande créature productrice d’électricité sur Terre, les anguilles électriques peuvent libérer jusqu’à 860 V lors d’une de leurs décharges électriques organiques. Les chercheurs ont placé une anguille dans un aquarium d’eau douce avec des larves de poisson-zèbre âgées de 6 jours. De l’ADN portant une protéine fluorescente verte (GFP) a été ajouté à l’eau de l’aquarium.
A partir de l’étude : Exposition à la décharge électrique d’une anguille électrique sur des larves de poisson-zèbre. (A) Cette illustration montre le réservoir expérimental utilisé pour exposer l’organisme récepteur à la décharge électrique des organes de l’anguille électrique (EOD). Dans le réservoir, trois électrodes à tige de carbone sont placées : deux entrées (colorées en noir et rouge) et une électrode de mise à la terre (colorée en vert). (B) Une décharge d’organe électrique est induite par l’anguille électrique au cours de son comportement prédateur lorsqu’elle se nourrit d’un poisson rouge. La cuvette contenant les larves de poisson zèbre et une solution d’ADN est placée à proximité des impulsions de haute tension générées par l’anguille électrique. La courbe magenta illustre le champ électrique produit par l’anguille électrique. (E) Un exemple de comportement prédateur unique avec des impulsions EOD d’une durée de 30 s est montré. L’anguille électrique commence par mordre et avaler le poisson rouge (indiqué par la flèche magenta, 1ère morsure), suivi d’une autre morsure sur une pince vide (indiqué par la flèche bleue, 2ème morsure). (S. Sakaki et col./ PeerJ: Life and Environment)
Lorsqu’un poisson rouge anesthésié a été descendu dans l’aquarium comme proie, l’anguille a émis une décharge électrique et a consommé le poisson rouge. Après l’exposition à la décharge électrique, les chercheurs ont examiné les larves de poisson-zèbre au stéréomicroscope, en se concentrant sur les amas de cellules multiples présentant une fluorescence verte intense sous la lumière UV. Au total, 5,3 % des larves présentaient des cellules GFP positives.
L’ADN de larves de poisson zèbre a été modifié (en vert) par l’électricité de l’anguille. (Les images du poisson zèbre et de la Protéine fluorescente verte sont superposées). (Shintaro Sakaki/ Université de Nagoya)
Selon Iida :
Cela indique que la décharge de l’anguille électrique a favorisé le transfert de gènes dans les cellules, même si les anguilles ont des formes d’impulsions différentes et une tension instable par rapport aux machines habituellement utilisées pour l’électroporation. Les anguilles électriques et d’autres organismes qui génèrent de l’électricité pourraient affecter la modification génétique dans la nature.
Les chercheurs soulignent que leur étude n’apporte que des preuves de la transduction génique environnementale et ne confirme pas si le gène transféré fonctionne comme un facteur héréditaire dans la progéniture. Bien qu’ils aient essayé de valider la transgénèse héréditaire en utilisant des organismes unicellulaires, y compris la bactérie Escherichia coli, ils n’ont pas obtenu de résultats positifs, probablement parce que la tension générée par l’anguille était de l’ordre de 200 à 250 V, ce qui aurait pu être insuffisant pour l’électroporation. Pour l’E. coli, l’électroporation mécanique utilise généralement des décharges de plus de 1 kV.
D’autres études seront donc nécessaires pour explorer l’hérédité de la transgénèse par décharge électrique dans les habitats naturels.
L’étude publiée dans PeerJ: Life and Environment : Electric organ discharge from electric eel facilitates DNA transformation into teleost larvae in laboratory conditions et présentée sur le site de l’Université de Nagoya : ‘Shocking’ discovery: Electricity from electric eels may transfer genetic material to nearby animals.