Les humains profiteraient d’une boussole intégrée
Le champ magnétique terrestre est faible, mais il a été démontré que les oiseaux, les abeilles, les homards et des bactéries détectent sa faible attraction. Aujourd’hui, après un demi-siècle de recherches, des scientifiques ont rapporté les preuves les plus convaincantes à ce jour pour suggérer que les humains partagent aussi cette capacité.
Les mystères entourant la magnétoréception, comme on l’appelle, abondent. Il est logique que les oiseaux migrateurs et certaines tortues aient une boussole intégrée, mais il est beaucoup moins évident de comprendre pourquoi les vaches en ont besoin pour orienter leur corps en fonction du champ magnétique quand elles paissent, ou les chiens pour se placer au nord ou au sud quand ils font leurs besoins.
Les premiers signes indiquant que l’humain pourrait avoir une boussole interne proviennent d’études menées par Robin Baker de l’université de Manchester, au Royaume-Uni. En 1980, il a rapporté que s’il bandait les yeux d’étudiants et qu’il les transportait hors de la ville, ils pouvaient presque toujours indiquer le secteur de leur point de départ, mais ils perdaient cette capacité si on leur attachait un aimant sur la tête. Toutefois, les tentatives ultérieures pour reproduire les résultats ont échoué.
Le biophysicien Joe Kirschvink, alors à l’université de Princeton aux États-Unis, a tenté de reproduire ces expériences en vain dans les années 1980. Mais 3 décennies plus tard, et maintenant au California Institute of Technology (Caltech), avec ses collègues ils ont trouvé une meilleure façon de vérifier si les humains ont une boussole interne.
Au lieu de demander à ses sujets une réponse comportementale consciente aux changements du champ magnétique, il a décidé d’interroger directement leurs cerveaux.
Pour ce faire, son équipe a installé une cellule métallique high-tech. Cette chambre noire est recouverte de fines feuilles d’aluminium pour protéger la personne assise à l’intérieur contre le champ magnétique terrestre. Un réseau de bobines électriques tapissant la cellule expose la personne à des champs magnétiques personnalisés, et un capuchon muni de 64 électrodes reliées à un électroencéphalogramme (EEG) enregistre les ondes cérébrales.
Illustration du dispositif expérimental. (C. Bickel)
Ce que l’équipe recherchait, ce sont les signes révélateurs que le cerveau était occupé à » traiter » quelque chose lorsque les champs magnétiques étaient modifiés.
Loin des sollicitations des smartphones, ou même du souffle léger d’une brise d’été, le cerveau s’installe dans un modèle d’activité synchrone connu sous le nom de rythme alpha.
Selon Kirschvink :
Lorsque le cerveau reçoit un stimulus, comme un son ou une odeur, des parties du cerveau vont sortir de ce bourdonnement et commencer à se préoccuper de ce qui se passe.
C’est une réponse qui traverse beaucoup de sens différents, alors nous avons dit : « Très bien, essayons ça pour voir si le sens magnétique est perçu”.
Bien sûr, lorsque les personnes étaient soumises à un champ magnétique qui tournait, comme si elles avaient été pivotées de 90 ° dans leur fauteuil, les ondes alpha dans leur cerveau ont diminué. Des neurones étaient recrutés pour « sentir » le changement de champ magnétique.
Curieusement, l’effet de la rotation ne s’est produit que lorsque le champ magnétique vertical, qui nous indique où nous sommes par rapport au nord magnétique, était dirigé vers le bas, comme dans l’hémisphère nord. Si le champ était retourné pour imiter un champ magnétique de l’hémisphère sud, les réponses cérébrales disparaissaient. Selon M. Kirschvink, c’est parce que les 34 participants à l’étude ont grandi dans l’hémisphère nord. Si l’entrée n’a aucun sens par rapport à ce que le cerveau sait de son environnement, il ne le prend pas en compte.
Ce GIF présente les changements de l’amplitude de l’onde alpha, une mesure qui permet de savoir si le cerveau est engagé ou s’il est au repos ou en mode « pilote automatique », après les rotations d’un champ magnétique de force terrestre. A gauche, les rotations dans le sens inverse des aiguilles d’une montre induisent une baisse généralisée de l’amplitude des ondes alpha. (Plus la couleur bleue est foncée, plus la baisse est importante.) Aucune baisse n’est observée après une rotation dans le sens horaire ou à l’état “fixed”. (Connie X. Wang/ Caltech)
Les expériences révèlent également comment le corps perçoit les champs magnétiques.
Une théorie suggère qu’ils provoquent des réactions chimiques quantiques dans les cryotochromes, des protéines présentes dans la rétine de l’œil. Un autre, auquel Kirschvink adhère, soutient que les cellules réceptrices contenant de minuscules aimants moléculaires, probablement constitués d’un minéral de fer appelé magnétite, déclenchent la réaction des cellules du cerveau.
Ces travaux excluent une boussole quantique (qui mesure la position relative à l’aide de nuages d’ions).
Une boussole quantique ne peut pas distinguer un champ au nord d’un autre au sud. Ce n’est donc pas une boussole quantique.
Mais l’emplacement des récepteurs de magnétite, s’ils existent, reste un mystère. Kirschvink pense que c’est probablement quelque part dans le gros nerf trijumeau qui se déploie autour de la tête, mais d’autres recherches seront nécessaires pour confirmer cette intuition.
Pour Peter Hore de l’université d’Oxford, au Royaume-Uni :
Si c’est le cas, je pense que c’est vraiment important. Mais une vérification indépendante est nécessaire.
J’ai l’impression que les expériences ont été faites avec beaucoup de soin, mais ce domaine de recherche sur la détection magnétique chez les animaux a donné des résultats que personne d’autre n’a pu répéter, alors je ne m’emballerai pas trop à ce sujet tant que personne d’autre n’aura reproduit ces mesures et trouvé la même chose.
M. Kirschvink et ses collègues se félicitent de cet examen minutieux.
Selon Isaac Hilburn, de Caltech et coauteur de l’étude :
Ce résultat doit être reproduit, il doit être reproduit par d’autres groupes de laboratoire.
L’équipe s’intéresse également à la façon dont les humains de l’hémisphère sud ou des régions équatoriales réagissent à l’évolution des champs. Cela pourrait aider à déterminer si tout le monde est capable de détecter le champ magnétique terrestre et si quelqu’un est capable de le faire à un niveau conscient.
L’étude publiée dans la revuie eNeuro : Transduction of the Geomagnetic Field as Evidenced from Alpha-band Activity in the Human Brain et présentée sur le site de Caltech : Evidence for a Human Geomagnetic Sense.