Comment la pluie, favorisée par le changement climatique, pourrait déclencher l’éruption de volcans ?
Des scientifiques attribuent l’éruption du Kilauea en 2018, qui a détruit des centaines de maisons sur la grande île d’Hawaï, a une surprenante origine : des pluies intenses et soutenues.
Image d’entête : la lave s’écoulant d’un évent actif lors de l’éruption du volcan Kīlauea en 2018. (U.S. Geological Survey)
Des précipitations excessives dans les mois précédant l’éruption ont entraîné l’effondrement des structures de soutien rocheuses près de la chambre magmatique de la caldeira, provoquant la remontée et l’éclatement de la lave à la surface, selon une nouvelle étude publiée mercredi (lien plus bas).
L’étude réalisée par des géologues de l’université de Miami (Etats-Unis), propose une nouvelle façon de prédire le moment et la fréquence des éruptions volcaniques au Kilauea et dans d’autres volcans. Cela dit, les pluies excessives sont l’un des nombreux éléments déclencheurs possibles d’une éruption, ce n’est donc pas une boule de cristal.
L’éruption de 2018 a commencé au début du mois de mai. De gigantesques fissures se sont ouvertes le long de la zone inférieure du rift Est du Kilauea, pompant des volumes alarmants de roche liquide. Les résidents locaux, menacés par les fumées toxiques et la lave envahissante, ont dû fuir leurs maisons. Quatre mois plus tard, des centaines de structures ont été détruites et le littoral hawaïen a été reconstruit.
Des panaches de cendres pendant l’éruption du Kilauea, vus de l’espace, le long de la côte sud. (NASA)
Que les précipitations puissent influencer à la fois l’activité sismique et les volcans est une chose que les scientifiques avaient déjà envisagée, mais on savait que ces effets n’influençaient que les zones proches de la surface. Cette nouvelle étude est importante, car elle suggère que les précipitations peuvent perturber les structures situées plus profondément sous la surface.
Selon Falk Amelung, coauteur de l’étude et géophysicien à l’université de Miami :
Nous savions que les changements de la teneur en eau dans le sous-sol de la Terre peuvent déclencher des tremblements de terre et des glissements de terrain. Maintenant, nous savons qu’elle peut également déclencher des éruptions volcaniques. Sous la pression du magma, la roche humide se brise plus facilement que la roche sèche. C’est aussi simple que cela.
La lave de la zone du rift inférieur est du volcan KĪlauea. (Alamy)
La cause immédiate de l’éruption du Kilauea en 2018 n’était pas connue, ce qui a incité Farquharson et Amelung à étudier la possibilité que les précipitations soient un facteur déterminant. En utilisant à la fois des données terrestres et satellitaires, les chercheurs ont fait la chronique de ce que le document décrit comme des « précipitations anormalement élevées » dans les mois précédant l’éruption.
Selon les recherches, une grande partie de cette eau s’est écoulée à travers la couche souterraine du volcan, en raison des roches volcaniques poreuses. Cela a eu pour effet de fragiliser les roches et d’augmenter la pression des eaux souterraines en profondeur et dans les zones entourant la chambre magmatique. En utilisant des modèles alimentés par les données de précipitations acquises, les chercheurs montrent que les pressions à proximité de la chambre avant l’éruption de 2018 étaient les plus élevées en un demi-siècle.
Cette pression des fluides a servi à fragiliser le volcan, provoquant une rupture structurelle en profondeur. Selon cette interprétation, le magma s’est frayé un chemin à travers les roches fragilisées, s’élevant vers le haut jusqu’à percer la surface.
Le lac de lave au sommet du volcan Kilauea a baissé de manière significative le 6 mai 2018 lorsque cette photo a été prise, et environ 3 semaines après que de très fortes pluies soient tombées sur les îles hawaïennes. (United States Geological Survey)
Il est intéressant de noter que cette théorie explique également pourquoi il n’y a pas eu de remontée significative du volcan dans les mois qui ont précédé l’éruption.
Toujours selon Amelung :
Une éruption se produit lorsque la pression dans la chambre magmatique est suffisamment élevée pour briser la roche environnante et que le magma remonte à la surface. Cette pressurisation provoque un gonflement du sol de plusieurs dizaines de centimètres. Comme nous n’avons pas constaté d’inflation significative l’année précédant l’éruption, nous avons commencé à réfléchir à d’autres explications.
Les chercheurs ont également effectué une analyse historique du Kilauea, en examinant les données archivées sur les précipitations et les éruptions qui remontent à 1790. Ils ont constaté que près de 60 % des éruptions se produisaient pendant la saison des pluies, qui est plus courte que la saison sèche.
Dans un article accompagnant l’étude, le planétologue Michael Manga, de l’université de Californie à Berkeley, a déclaré que la nouvelle théorie est plausible, mais qu’elle doit être prise avec des pincettes étant donné la complexité et la nature multidimensionnelle de l’activité volcanique.
Selon Manga :
Les changements de pression calculés par leurs modèles sont plus petits que les contraintes dues aux marées. Cependant, si les roches sont déjà proches de la rupture, ces changements pourraient être suffisants pour déclencher une défaillance.
Quant à savoir si les défaillances peuvent résulter de changements de la pression de l’eau, cela « reste incertain », a déclaré le Manga qui précise :
Le premier magma qui a fait éruption dans la zone du rift inférieur en 2018 était vieux, peut-être un reste d’une éruption antérieure de 1955, ce qui implique que la zone du rift était déjà chaude. Par conséquent, les eaux souterraines de la zone du rift pouvaient être de la vapeur à faible profondeur, et à plus grande profondeur, elles pouvaient être un fluide supercritique (une substance qui n’est pas en phase liquide ou gazeuse distincte, mais qui a les propriétés des deux). La compressibilité élevée des vapeurs et des fluides supercritiques atténuerait l’ampleur des changements de pression dans le modèle des auteurs, rendant la défaillance moins probable.
Manga pense que la nouvelle théorie peut être testée en examinant d’autres données d’archives pour voir si des modèles similaires apparaissent pour d’autres volcans. Si cela se confirme, la nouvelle recherche pourrait mettre en évidence un signal sous-estimé pour la prévision du moment et de la fréquence des éruptions volcaniques.
C’est une question de recherche pertinente étant donné que le changement climatique augmente déjà la probabilité de fortes pluies en de nombreux endroits. L’île hawaïenne de Kauai, par exemple, a établi le record américain de précipitations quotidiennes le mois précédant le début de l’éruption du Kilauea. Ainsi, le réchauffement climatique pourrait contribuer à l’augmentation de l’activité volcanique, une possibilité qui n’a pas échappé aux chercheurs.
Selon Farquharson :
Il a été démontré que la fonte des calottes glaciaires en Islande a entraîné des changements de la productivité volcanique. Comme on prévoit que le changement climatique en cours entraînera des changements dans les modèles de précipitations, nous pensons que cela pourrait également influencer les modèles d’activité volcanique.
L’étude publiée dans Nature : Extreme rainfall triggered the 2018 rift eruption at Kīlauea Volcano et présentée sur le site de l’université de Miami : Excessive rain triggered 2018 Kīlauea volcano eruption, study finds.