Une vieille dent révèle qu’une technique de taille de la pierre que l’on croyait réservée aux humains était aussi utilisée par les néanderthaliens
Dans les temps anciens, lorsque les humains et les Néandertaliens parcouraient la terre ensemble, la méthode Levallois était à peu près la meilleure technologie disponible de l’époque. Il s’agissait d’une technique de taille du silex qui peut ne vous semblerai pas très utile de nos jours, mais qui offrait des avantages distincts par rapport à ce qui était disponible auparavant.
Image d’entête : la vue depuis la grotte de Shuqba. (Amos Frumkin)
Jusqu’à récemment, on pensait que seul l’Homo sapiens avait accès à cette technologie et pouvait l’utiliser, mais une seule dent semble remettre en cause cette idée. Cette dent, conservée depuis longtemps dans une collection privée, a récemment fait l’objet d’une nouvelle analyse. Elle semble appartenir à un enfant de Néandertal de 9 ans et elle était accompagnée d’un ensemble de pierre taillée qui utilisait la méthode Levallois, ce qui indique que les Néandertaliens étaient capables d’utiliser cette technique aussi bien que les humains. L’étude est remarquable parce qu’elle remet en question la vieille idée selon laquelle la méthode Levallois est une marque de fabrique de l’évolution humaine.
L’étude a débuté lorsque des chercheurs de l’Institut Max-Planck de science de l’histoire humaine (Allemagne) ont fait équipe avec des partenaires internationaux pour réexaminer les archives fossiles et archéologiques de la grotte de Shuqba. Cette grotte, située dans l’actuelle Palestine, a été révélée par la célèbre archéologue Dorothy Garrod en 1928. Elle a fait état d’un riche assemblage d’os d’animaux et d’outils en pierre, souvent concentrés dans des foyers bien marqués.
Garrod a compris que la grotte avait été habitée par des hominidés, et elle a également trouvé une dent (celle qui s’est avérée appartenir à un enfant de Néandertal). Celle-ci présente des caractéristiques néandertaliennes évidentes, ce qui en fait le spécimen fossile connu le plus méridional de cette population/ espèce, notent les chercheurs, ajoutant qu’il s’agit de la première association directe entre les Néandertaliens et la technologie nubienne de Levallois.
Selon le Pr Clément Zanolli, de l’Université de Bordeaux :
Le professeur Garrod a immédiatement vu à quel point cette dent était distinctive. Nous avons examiné la taille, la forme et la structure 3D externe et interne de la dent, et nous l’avons comparée aux spécimens holocène et pléistocène d’Homo sapiens et de Néandertaliens. Cela nous a permis de caractériser clairement la dent comme appartenant à un enfant de Néandertal d’environ 9 ans. La Shuqba marque l’étendue la plus méridionale de l’aire de Neandertal connue à ce jour.
Photo et reconstruction 3D d’une dent d’un enfant néandertalien de 9 ans. (Trustees of the Natural History Museum de Londres)
Les preuves génétiques montrent déjà que l’Homo sapiens et les Néandertaliens se sont croisés à plusieurs reprises au cours de leur histoire évolutive, et maintenant les preuves archéologiques commencent à suggérer que les deux groupes se sont mêlés à plusieurs reprises. Cela a de vastes ramifications pour la compréhension de notre patrimoine, et la Shuqba offre une chance rare de relier les outils aux personnes qui les ont utilisés.
Selon l’auteur principal, le Dr Jimbob Blinkhorn, anciennement de l’Université de Londres, et maintenant membre du Groupe panafricain de recherche sur l’évolution :
Les sites où les fossiles d’hominidés sont directement associés à des assemblages d’outils en pierre restent rares, mais l’étude à la fois des fossiles et des outils est essentielle pour comprendre les occupations de la grotte de Shuqba et de la région dans son ensemble.
Toujours selon Blinkhorn :
Les illustrations des collections d’outils en pierre de Shuqba laissaient entrevoir la présence de la méthode nubienne de Levallois, nous avons donc revisité les collections pour approfondir nos recherches. En fin de compte, nous avons identifié beaucoup plus d’artefacts produits à l’aide des méthodes de Levallois nubien que nous l’avions prévu. C’est la première fois qu’ils sont trouvés en association directe avec des fossiles de Néandertal, ce qui suggère que nous ne pouvons pas faire un simple lien entre cette technologie et l’Homo sapiens.
Photos de nucléus de Levallois nubiens associés à des fossiles de Néandertal. (UCL/ Institut d’Archéologie/ Penn Museum/ Université de Pennsylvanie)
Bien que les humains et les Néandertaliens aient utilisé un large éventail de technologies d’outils en pierre, la technologie de Levallois est spéciale, car on pensait qu’elle était uniquement utilisée par les humains. Mais nous ne sommes pas aussi spéciaux que nous le pensions autrefois, ou alors, les Néandertaliens étaient aussi spéciaux que nous.
Une analyse plus approfondie pourrait en révéler encore davantage sur cet assemblage de pierres taillées, mais la grotte de Shuqba à d’autres problèmes à régler pour le moment.
Bien que l’Homo sapiens et les Néandertaliens partagent l’utilisation d’une large gamme de technologies d’outils en pierre, la méthode nubienne de Levallois a récemment été considérée comme exclusivement utilisée par l’Homo sapiens. Cet argument a été avancé en particulier en Asie du sud-ouest, où les outils Levallois nubiens ont été utilisés pour suivre la dispersion des humains en l’absence de fossiles.
Après que Garrod ait quitté la Palestine en 1928, aucun autre travail archéologique n’a été effectué à la Shuqba avant 2000. La grotte est actuellement menacée en raison de la construction de routes par Israël, de la dégradation, du manque de protection et du déversement important d’ordures. Des recherches récentes ont montré que les archéologues s’intéressent davantage aux « sites bibliques » qu’à des endroits comme la Shuqba.
La région pourrait encore contenir des découvertes précieuses, mais, en proie au désintérêt et à d’importants problèmes de déversement de déchets, elle semble plus menacée que jamais. La région a été ajoutée à la « liste indicative » de l’UNESCO pour 2013 en vue d’une éventuelle désignation comme site du patrimoine mondial, mais cela n’a pas beaucoup avancé.
L’étude publiée dans Nature Scientific Reports : Nubian Levallois technology associated with southernmost Neanderthals et présentée sur le site de l’Institut Max-Planck de science de l’histoire humaine : Neanderthals and Homo sapiens used Identical Nubian Technology.