Là où les étoiles naissent : les voisins galactiques ont une influence sur les pouponnières stellaires
Les étoiles comme notre Soleil naissent dans des pouponnières stellaires, des nuages cosmiques de poussière et de gaz qui produisent des milliers d’étoiles au cours de leur vie.
Dans deux nouvelles études qui seront présentées cette semaine lors de la 238e réunion de l’American Astronomical Society, des scientifiques ont pour la première fois dressé la carte des pouponnières stellaires dans l’Univers proche, remettant en question la notion dominante selon laquelle tous les nuages ont la même apparence et le même comportement.
Pendant 6 ans, entre 2013 et 2019, l’équipe internationale d’astronomes a utilisé le réseau ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimetre Array) dans le désert d’Atacama, au nord du Chili, pour étudier 100 000 pouponnières stellaires dans 90 galaxies, dans le but de comprendre comment elles se connectent à leurs galaxies “mères”. Cette mission s’inscrit dans le cadre du projet PHANGS (Physics at High Angular Resolution in Nearby GalaxieS).
Image d’entête : quelques-unes des 90 galaxies dans l’Univers proche étudiées par l’ALMA. (ALMA (ESO/NAOJ/NRAO)/S. Dagnello (NRAO))
NGC4535 est une galaxie de l’Univers proche présentant une morphologie de type spirale et barre stellaire. Elle a été cataloguée avec près de 100 autres galaxies par le projet PHANGS. NGC4535 est représentée ici sous forme de composite ALMA (orange) avec les données du télescope spatial Hubble (HST/rouge). (ALMA (ESO/NAOJ/NRAO)/PHANGS, S. Dagnello (NRAO))
Selon Eva Schinnerer, astronome à l’Institut Max Planck d’Astronomie (MPIA), en Allemagne, et responsable de la recherche au PHANGS :
Pour comprendre comment les étoiles se forment, nous devons relier la naissance d’une seule étoile à sa place dans l’Univers. C’est comme relier une personne à sa maison, son quartier, sa ville et sa région. Si une galaxie représente une ville, alors le voisinage est le bras spiralé, la maison l’unité de formation d’étoiles, et les galaxies proches sont les villes voisines de la région.
Ces observations nous ont appris que le « voisinage » a des effets minimes mais prononcés sur le lieu et la quantité d’étoiles qui naissent.
L’équipe a comparé les propriétés moléculaires et les processus de formation d’étoiles dans différentes régions galactiques, notamment les disques de galaxie, les barres d’étoiles, les bras spiraux et les centres galactiques, et elle a confirmé que l’emplacement joue un rôle clé dans la formation d’étoiles.
Montrée ici sous la forme d’un composite ALMA (orange/rouge) avec les données du télescope spatial Hubble (HST), NGC4254 faisait partie de la centaine de galaxies incluses dans le récent recensement des galaxies de l’Univers proche du projet PHANGS. NGC4254 est un exemple de galaxie présentant une morphologie de type M. (ALMA (ESO/NAOJ/NRAO)/PHANGS, S. Dagnello (NRAO))
Annie Hughes, astronome à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP), en France, déclare que c’est la première fois que les scientifiques disposent d’un instantané de ce que sont réellement les nuages de formation d’étoiles dans un éventail aussi large de galaxies différentes :
Nous avons découvert que les propriétés des nuages de formation d’étoiles dépendent de leur emplacement : les nuages situés dans les régions centrales denses des galaxies ont tendance à être plus massifs, plus denses et plus turbulents que les nuages qui résident dans les périphéries calmes d’une galaxie.
Le cycle de vie des nuages dépend également de leur environnement. La vitesse à laquelle un nuage forme des étoiles et le processus qui détruit finalement le nuage semblent tous deux dépendre de l’endroit où vit le nuage.
A gauche : image composite en couleur de la galaxie spirale M 66 (ou NGC 3627) obtenue avec les instruments multimodes FORS1 et FORS2 (ESO). A droite : émission mesurée par le projet PHANGS-ALMA pour NGC 2903 La vue à haute résolution montre des structures en amas correspondant à des nuages moléculaires massifs individuels. (Leroy. A., Schinnerer. E., Hughes. A., et col)
Le coauteur, Erik Rosolowsky, physicien à l’Université d’Alberta, au Canada, affirme que cette cartographie complexe n’aurait pas été possible sans l’ALMA, en ajoutant :
Nous voyons enfin la diversité des gaz de formation d’étoiles dans de nombreuses galaxies et nous sommes en mesure de comprendre comment ils évoluent au fil du temps. Il était impossible de réaliser ces cartes détaillées avant l’ALMA. Ce nouvel atlas contient 90 des meilleures cartes jamais réalisées qui révèlent où la prochaine génération d’étoiles va se former.
Cette carte cosmique n’est qu’un des couronnements de l’ALMA. Une autre étude, qui doit également être présentée lors de la réunion de l’AAS, expose les résultats des observations radioastronomiques de molécules organiques dans les nébuleuses planétaires.
Une nébuleuse planétaire est créée lorsque certaines étoiles atteignent la fin de leur cycle de vie : lorsque l’étoile mourante perd sa masse dans l’espace et devient une naine blanche, elle émet un fort rayonnement UV, dont on pensait qu’il décomposait les molécules en leurs atomes constitutifs.
L’équipe à l’origine de cette étude, dirigée par Lucy Ziurys de l’Université d’Arizona, a utilisé l’ALMA pour observer les émissions radio du cyanure d’hydrogène (HCN), de l’ion formyle (HCO+) et du monoxyde de carbone (CO) dans cinq nébuleuses planétaires : M2-48, M1-7, M3-28, K3-45 et K3-58. Ils ont découvert que les molécules organiques parviennent à échapper à la destruction et que ces nébuleuses pourraient en fait ensemencer l’espace avec les molécules essentielles à la formation de nouvelles étoiles et planètes.
Selon Lucy Ziurys :
On pensait que les nuages moléculaires qui donneraient naissance à de nouveaux systèmes stellaires devraient partir de zéro et former ces molécules à partir d’atomes. Mais si le processus commence plutôt par des molécules, cela pourrait accélérer considérablement l’évolution chimique dans les systèmes stellaires naissants.
L’étude disponible en prépublication dans arXiv : PHANGS-ALMA: Arcsecond CO(2-1) Imaging of Nearby Star-Forming Galaxies et présentée sur le site du National Radio Astronomy Observatory : Cosmic cartographers map nearby Universe revealing the diversity of star-forming galaxies.