Un détecteur de matière noire pourrait avoir accidentellement détecté de l’énergie noire
L‘année dernière, des physiciens ont rapporté qu’un détecteur expérimental de matière noire/ sombre avait capté un signal étrange qui pouvait laisser entrevoir une nouvelle physique, avec plusieurs suspects privilégiés. À présent, des scientifiques de Cambridge proposent une réponse qui n’avait pas été envisagée à l’époque : l’expérience pourrait avoir permis la première détection directe de l’énergie noire, la mystérieuse force qui accélère l’expansion de l’univers.
Image d’entête : représentation de l’évolution de l’Univers depuis le Big Bang. L’énergie sombre/ noire est la force mystérieuse que l’on croit responsable de l’accélération de l’expansion de l’univers. (AF/ Université de Cambridge)
Bien qu’elle soit censée être 5 fois plus abondante que la matière ordinaire, la matière noire reste insaisissable. Elle n’interagit pas avec la lumière et semble se manifester principalement par l’influence gravitationnelle à l’échelle cosmique, comme les étoiles, les galaxies et les amas de galaxies. Mais de temps en temps, une particule de matière noire peut se heurter à une particule de matière ordinaire et être détectée avec l’équipement adéquat.
XENON1T était une version de ce genre d’équipement. Menée au laboratoire national du Gran Sasso, en Italie, entre 2016 et 2018, l’expérience consistait principalement en un grand réservoir rempli de xénon liquide, gardé profondément sous terre. L’idée était que si une particule de matière noire traversait le réservoir, elle exciterait les atomes de xénon pour produire un flash de lumière et des électrons libres, qu’une série de capteurs pourrait détecter.
L’installation XENON1T, à gauche le réservoir contenant l’instrument lui-même, avec une affiche montrant ce qu’il contient, à droite le bâtiment de service à trois étages. (Xenon Collaboration)
Le détecteur XENON1T. On peut voir le réseau inférieur de tubes photomultiplicateurs et la structure en cuivre qui crée le champ de dérive électrique. (XENON collaboration)
Mais ce n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. D’autres particules connues pourraient avoir le même effet. Le fait de placer l’expérience sous terre permet de réduire ce bruit, mais pas entièrement. Les scientifiques calculent donc un niveau de bruit de fond attendu, puis vérifient si les détections réelles sont supérieures à ce niveau.
Et bien sûr, ce fut le cas. L’année dernière, les scientifiques ont signalé un « excès surprenant de manifestations » : 53 pour être exact, par rapport au niveau de fond attendu de 232. Quelque chose d’étrange semblait se produire, mais s’agissait-il de matière noire ?
Le principal candidat à l’époque était une particule élémentaire hypothétique appelée axion solaire. Comme leur nom l’indique, ces axions seraient produits par le Soleil et, bien qu’ils ne soient pas considérés comme des candidats à la matière noire, d’autres types d’axions le sont, de sorte que la découverte de l’un d’entre eux constituerait une étape importante.
Mais après une étude plus approfondie, l’équipe de Cambridge affirme qu’il faudrait beaucoup trop d’axions solaires pour produire le signal observé. Elle suggère plutôt un autre coupable : une particule porteuse de force pour l’énergie sombre/ noire. C’est le nom donné à la force répulsive qui semble être à l’origine de l’accélération de l’expansion de l’univers, et l’un de ses modèles implique ce que l’on appelle des particules caméléon.
L’un de ses modèles fait intervenir ces particules dites « caméléons », dont la masse et l’influence varient en fonction de la quantité de matière qui les entoure. Ainsi, dans les zones à forte densité, comme la Terre, leur masse est importante mais leur force ne s’exerce que sur une très petite distance. En revanche, dans l’espace interstellaire, où il n’y a pratiquement pas de matière, les caméléons auraient une masse plus faible, mais leur influence s’étendrait bien plus loin. Ce type de permutation expliquerait l’observation étrange selon laquelle l’énergie noire ne semble avoir aucun effet au niveau local, mais un effet important à l’échelle galactique.
Cette hypothèse peut sembler un peu trop commode pour être vraie, mais c’est à cela que servent les idées que l’on peut tester afin de trouver des preuves pour ou contre elles. Et, selon l’équipe de Cambridge, nous avons peut-être trouvé des preuves de l’existence des caméléons en tant que porteurs d’énergie sombre dans l’excès de phénomènes du XENON1T.
Les chercheurs ont modélisé ce qui se passerait si les particules caméléon produites par le Soleil, dans une région fortement magnétique appelée tachocline, traversaient le détecteur XENON1T. Et bien sûr, le signal ressemblait beaucoup à celui qui a été observé.
Selon le Dr Sunny Vagnozzi, premier auteur de l’étude :
Il était vraiment surprenant que cet excès puisse en principe être causé par l’énergie sombre plutôt que par la matière sombre. Quand les choses se mettent en place comme ça, c’est vraiment spécial.
Bien sûr, l’affaire est loin d’être close. Les événements excédentaires n’ont pas encore été correctement confirmés, mais des versions avancées de l’expérience pourraient permettre de vérifier les résultats.
Selon le Dr Luca Visinelli, coauteur de l’étude :
Nous devons d’abord savoir s’il ne s’agissait pas d’un simple coup de chance. Si XENON1T a réellement vu quelque chose, on s’attendrait à observer à nouveau un excès similaire lors de futures expériences, mais cette fois avec un signal beaucoup plus fort.
L’étude publiée dans Physical Review D. : Direct detection of dark energy: The XENON1T excess and future prospects et présentée sur le site de l’Université de Cambridge : Have we detected dark energy? Cambridge scientists say it’s a possibility.