Des protéines provenant de dents révèlent que le grand et mystérieux singe Gigantopithecus était un cousin éloigné des orangs-outans
Des scientifiques ont extrait des fragments de protéines de l’émail d’une dent de 1,9 million d’années, le plus ancien spécimen à avoir révélé des protéines aussi anciennes.
Leur étude (lien plus bas) ne résout pas seulement le mystère de la place qu’occupe le Gigantopithecus blacki, dont une molaire a été trouvée dans la grotte de Chuifeng dans le sud subtropical de la Chine, dans l’arbre généalogique du singe. C’est aussi un tour de force technique qui montre ce qui l’est possible d’accomplir dans le domaine de la paléoprotéomique.
Image d’entête : représentation artistique du Gigantopithecus blacki. (Ikumi Kayama/ Studio Kayama LLC)
Ces dernières années, des os, des dents et même de la terre ont livré leurs secrets sous la forme d’anciens morceaux d’ADN qui ont survécu au passage du temps. Mais l’ADN ne survit pas éternellement. Les plus anciennes séquences d’ADN remontent à 700 000 ans dans des spécimens subpolaires, conservés au frais…
Plus près de l’équateur, où les conditions sont plus chaudes et plus humides, les paléontologues ont du mal à trouver de l’ADN ancien provenant de spécimens vieux de quelques milliers d’années seulement.
Cette année, les protéines sont apparues comme probante et utilisables dans la recherche sur les biomolécules du passé.
Les protéines, comme l’ADN, contiennent des chaînes d’éléments constitutifs qui, lorsqu’on les compare entre espèces, peuvent révéler à quel point elles sont intimement liées entre elles. Contrairement à l’ADN, elles subsistent plus longtemps.
Plus tôt cette année, Frido Welker, un expert en biomolécules anciennes de l’université de Copenhague, au Danemark, et ses collègues ont réussi à extraire des protéines de l’émail des dents d’un rhinocéros disparu, vieux de 1,77 million d’années.
Mais dans ce cas, la dent provenait de climats tempérés plus tolérants de Dmanisi, un site en Géorgie.
Dans la présente étude, Welker et ses collègues ont broyé l’émail et la molaire du noyau dentinaire interne de la molaire du G. blacki, mais sans véritable espoir, ce qui n’a effectivement rien donné. Ils savaient qu’elle provenait d’une région plus chaude avec un « environnement moins favorable à la préservation des protéines ».
Restes de la Mâchoire du Gigantopithecus blacki. (Prof. Wei Wang/ Theis Jensen)
Ils n’ont pas eu de chance avec la dentine, mais avec l’émail, ils ont réussi à identifier des fragments de six protéines, qui étaient toutes impliquées dans la minéralisation de l’émail.
Seulement quatre mâchoires partielles et quelques milliers de dents de Gigantopithèques ont été extraites d’une seule région du sud de la Chine. Sans un crâne ou d’autres restes squelettiques, les scientifiques n’ont pas été en mesure de déterminer la place du singe éteint dans l’arbre généalogique, ou si c’était même un grand singe. C’est là que les protéines identifiées par l’équipe de Welker entrent en jeu.
En les comparant à des séquences de protéines de grands singes vivants, ils ont montré que le Gigantopithèque est plus étroitement lié aux orangs-outans. La dernière fois que les deux espèces ont partagé un ancêtre commun, il y a 10 à 12 millions d’années, au cours du Miocène, une époque où une explosion de nouvelles espèces de grands singes s’est produite.
Graphique comparant la taille d’un mâle humain de 1,8 mètre de haut à celle d’une espèce de Gigantopithecus. Ce graphique est basé sur les proportions d’orangs-outans en position debout. Il est fort probable que les Gigantopithèques passaient la majeure partie de leur temps à quatre pattes. (Discott)
L’étude des anciennes biomolécules est une activité hautement spécialisée qui nécessite des laboratoires stériles qui empêchent la contamination par les plus infimes traces d’ADN ou de protéines inopportunes. Il existe également des algorithmes dédiés pour identifier les biomolécules dégradées et analyser correctement les données. Mais cette étude suggère que les anciennes protéines ont beaucoup plus à révéler.
Il pourrait être possible d’obtenir des protéines à partir de spécimens encore plus vieux, selon Welker :
Si nous avons des protéines dans un environnement subtropical à deux millions d’années, alors dans des endroits beaucoup plus froids, il devrait y avoir des protéines beaucoup plus vieilles.
Ce qui est encore plus tentant, c’est la perspective de ce que les protéines pourraient révéler sur nos propres anciens parents.
Les îles tropicales de l’Asie du Sud-Est ont produit plusieurs humains archaïques ces dernières années, dont l’Homo floresiensis d’Indonésie et l’Homo luzonensis des Philippines. On ne sait pas exactement dans quelle mesure ils sont liés à notre propre espèce.
D’autres restes sont tout simplement trop fragmentés pour être rattachés à une espèce connue.
Les protéines pourraient être la clé pour résoudre ces mystères selon Welker, qui ajoute :
Il y a toutes sortes de questions en suspens auxquelles nous pourrions peut-être répondre maintenant.
L’étude publiée dans Nature : Enamel proteome shows that Gigantopithecus was an early diverging pongine et présentée sur le site de l’université de Copenhague : Extinct giant ape directly linked to the living orangutan.