Torticolis climatique : comment des éruptions volcaniques ont-elles entrainé l’évolution d’énormes dinosaures au long cou pendant le Jurassique ?
Avec leur long cou, leur corps bombé et leur longue queue, il fallait être aveugle pour ne pas remarquer un sauropode. Ce sont les plus grandes créatures qui aient jamais marché sur la terre ferme, certaines atteignant une hauteur de 12 mètres, mais la façon dont elles ont réussi à atteindre cette taille incroyable, surpassant tous les autres herbivores, a toujours fait l’objet d’un grand débat parmi les paléontologues. Une nouvelle étude suggère que la période d’expansion de l’aire de répartition et de croissance des sauropodes correspond à une extinction majeure déclenchée par les éruptions volcaniques du Jurassique inférieur.
Image d’entête : parade de Brachiosaure (famille des sauropodes), du Volkheimeria au Breviparopus, avec un Tyrannasorus rex adulte (en haut, à gauche) et un humain pour la comparaison. (Nima Sassani)
La Terre n’est pas étrangère aux cataclysmes planétaires qui anéantissent d’innombrables espèces. Au cours des derniers demi-milliards d’années, il y a eu 5 extinctions majeures, connues sous le nom d’extinctions massives, au cours desquelles bien plus de la moitié des créatures vivantes ont disparu en un clin d’œil géologique. Entre ces extinctions majeures, il y a eu des épisodes d’extinction mineurs, tels que l’événement anoxique océanique du Toarcien, au cours duquel une série d’éruptions volcaniques riches en dioxyde de carbone a plongé le monde dans un réchauffement climatique il y a environ 182 millions d’années.
Illustration représentant le Mnyamawamtuka dans son environnement, un sauropode découvert en 2019. (Mark Witton)
Tout comme l’activité humaine aujourd’hui, les éruptions du Jurassique inférieur ont introduit un excès de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, ce qui a rendu les océans plus acides, provoquant ainsi une extinction massive de la vie marine. Bien que les plantes aient la réputation d’être un puits de carbone, à cette époque, les écosystèmes terrestres étaient dominés par les fougères, les Cycadales et les ginkgos, qui ne se portaient pas très bien dans le climat désormais aride et plus chaud. Au lieu de cela, le changement de climat s’est avéré idéal pour les conifères, qui ont prospéré.
Cependant, seuls les animaux assez grands pour atteindre les conifères et dont l’estomac étaient assez solide pour digérer les feuilles épineuses pouvaient accéder à cette source d’alimentation. L’une de ces créatures devait être le Bagualia alba, un gros herbivore de 5 tonnes et le premier eusauropode, ou « vrai sauropode », découvert à ce jour.
Reconstruction du sauropode Bagualia alba. (Jorge Gonzales)
Les fossiles du B. alba ont été décrits pour la première fois par des paléontologues argentins dans une étude publiée cette semaine (lien plus bas). Les fossiles, dont un crâne partiel de l’ancien géant, ont été déterrés dans le bassin du Cañadón Asfalto en Argentine. Ils suggèrent que le B. alba présentait des caractéristiques similaires à celles de célèbres sauropodes comme le diplodocus et le brontosaure, telles que de grandes pattes, un long cou par rapport au corps, de grosses dents en forme de cuillère et des mâchoires larges et fortes.
Au Jurassique inférieur, les sauropodes phytophages (herbivores) étaient en concurrence avec d’autres herbivores, y compris avec des membres de leur propre clade aux mâchoires moins puissantes et au cou plus court. On n’a jamais su exactement pourquoi les eusauropodes se sont développés à pas de géant, mais nous avons maintenant une explication très raisonnable : les nouveaux fossiles montrent que l’événement anoxique océanique du Toarcien fut la parfaite occasion de faire naître les sauropodes au long cou.
Selon les auteurs de l’étude, c’est la première fois que la disponibilité d’anciennes plantes est liée au développement évolutif d’un dinosaure qui les a incluses dans son alimentation.
Selon les chercheurs du Musée de Paléontologie Egidio Feruglio à Trelew, en Argentine :
Nous montrons que la dominance des eusauropodes s’est établie après un événement magmatique massif qui a touché le sud du Gondwana (180-184 Ma) et a coïncidé avec de graves perturbations du climat et une diminution drastique de la diversité florale caractérisée par la montée des conifères à petites feuilles écailleuses. Les enregistrements floraux et fauniques d’autres régions suggèrent qu’il s’agit de changements globaux qui ont eu un impact sur les écosystèmes terrestres pendant l’événement de réchauffement du Toarcien et qui ont fait partie d’une extinction massive de second ordre.
L’étude publiée dans The Proceedings of the Royal Society B. : Extinction of herbivorous dinosaurs linked to Early Jurassic global warming event et annoncée sur le site EAPS du Massachusetts Institute of Technology : How massive long-necked dinosaurs rose to rule the Jurassic herbivores.