La "sélection naturelle" de Darwin agit-elle deux fois plus vite qu’on ne le pensait ?
La théorie de l’évolution de Darwin décrit la « sélection naturelle » comme l’adaptation réussie d’une espèce grâce à des modifications génétiques héritées au fil du temps. Bien que ce processus ait traditionnellement été considéré comme relativement lent (il faut au moins plusieurs générations pour qu’un changement se produise), il semble que nous ayons probablement sous-estimé les taux d’héritage génétique.
Une équipe internationale de 40 chercheurs issus de 27 institutions scientifiques a découvert que le « carburant de l’évolution » semble être plus abondant qu’on ne le pensait auparavant et que la sélection naturelle se produit à un rythme deux à quatre fois plus rapide.
Image d’entête : un couple de mérions superbe, une des espèces étudiées ici. (Wikimedia)
Selon chef de projet, le Dr Timothée Bonnet, de l’Université nationale australienne (ANU) :
Depuis Darwin, les chercheurs ont identifié de nombreux exemples d’évolution darwinienne se produisant en quelques années seulement.
Un exemple courant d’évolution rapide est la phalène du bouleau, un papillon qui, avant la révolution industrielle au Royaume-Uni, était principalement blanc. Avec la pollution qui laissait de la suie noire sur les arbres et les bâtiments, les papillons noirs avaient un avantage de survie car il était plus difficile pour les oiseaux de les repérer. Comme la couleur de la mite déterminait la probabilité de survie et était due à des différences génétiques, les populations en Angleterre sont rapidement devenues dominées par les mites noires.
La forme claire et sombre de la phalène du bouleau. (Wikimedia)
Il s’agit de la première étude à examiner la vitesse de l’évolution à grande échelle, incluant 19 populations d’animaux sauvages du monde entier. Toutes les populations ont été suivies sur de longues périodes, de 11 à 63 ans, fournissant des données sur la sélection naturelle de plus de 249 430 individus. Les Mérions superbes d’Australie, les hyènes tachetées de Tanzanie, les Bruants chanteur du Canada et les cerf élaphe d’Écosse figuraient parmi les animaux suivis dans le cadre de cette recherche. Ces espèces couvrent un large éventail d’écologies, d’histoires de vie et de systèmes sociaux, et habitent divers habitats terrestres.
Selon Bonnet :
Nous devions savoir quand chaque individu était né, avec qui il s’accouplait, combien de descendants il avait, et quand il mourait. Chacune de ces études a duré en moyenne 30 ans, ce qui a fourni à l’équipe un nombre incroyable de 2,6 millions d’heures de données de terrain. Nous avons combiné ces données avec des informations génétiques sur chaque animal étudié afin d’estimer l’ampleur des différences génétiques dans leur capacité à se reproduire, dans chaque population.
Après 3 ans d’efforts, Bonnet et son équipe ont finalement quantifié l’ampleur des changements d’espèces dus aux modifications génétiques provoquées par la sélection naturelle. Ils ont confirmé que la variance génétique additive survenant dans de multiples populations avait des valeurs médianes et moyennes deux à quatre fois plus importantes que celles des estimations précédentes. Cette variance influence également l’aptitude relative (ou valeur sélective relative), c’est-à-dire la probabilité de se reproduire et de transmettre l’information génétique.
Toujours selon le Dr Bonnet :
La méthode nous donne un moyen de mesurer la vitesse potentielle de l’évolution actuelle en réponse à la sélection naturelle pour tous les traits d’une population. C’est quelque chose que nous n’avons pas pu faire avec les méthodes précédentes, et le fait de pouvoir constater un tel potentiel d’évolution fut une surprise pour l’équipe.
Alors que les mésanges bleues (Cyanistes caeruleus) d’Italie présentaient une grande quantité de variances génétiques additive, cela s’est traduit par un changement relativement faible de leur aptitude relative (6 %). En revanche, les campagnols des neiges (Chionomys nivalis) de Suisse présentaient des quantités plus faibles de variances, mais représentaient une plus grande proportion de leur aptitude relative (30 %).
Selon le professeur Loeske Kruuk de l’Université nationale australienne et de l’université d’Edinburgh (Royaume-Uni) :
Ce remarquable travail d’équipe a été possible parce que des chercheurs du monde entier étaient heureux de partager leurs données dans le cadre d’une vaste collaboration. Cela montre également la valeur des études à long terme avec un suivi détaillé des histoires de vie des animaux pour nous aider à comprendre le processus d’évolution dans la nature.
Il est encore trop tôt pour dire si le rythme réel de l’évolution est plus rapide qu’auparavant, car nous n’avons pas de base de comparaison. Toutefois, grâce à ce modèle, nous pouvons désormais commencer à mesurer la quantité de « carburant » génétique disponible et à quantifier la théorie de l’évolution de Darwin.
L’étude publiée dans Science : Genetic variance in fitness indicates rapid contemporary adaptive evolution in wild animals et présentée sur le site de l’Université nationale australienne : Wild animals evolving much faster than previously thought.