Sur le sommeil des pieuvres très similaire à celui des humains et sur la grande sophistication du camouflage des seiches
Depuis des années, des scientifiques tentent de déterminer si les pieuvres, dont le cerveau présente des similitudes remarquables avec le nôtre, font des rêves. Une étude récente (lien plus bas) affirme même que les céphalopodes à huit bras peuvent avoir des réactions physiques dans leur sommeil, comme s’ils étaient attaqués par un prédateur, ce qui suggère qu’ils font des cauchemars.
Image d’entête : une pieuvre durant un sommeil actif (paradoxal). (Sylvia L. S. Madeiros)
À présent, des chercheurs du Collège doctoral de science et technologie d’Okinawa (Okinawa Institute of Science and Technology (OIST)/ Japon), en collaboration avec l’université de Washington (UW/ Etats-Unis), ont examiné l’activité cérébrale et le comportement d’un petit poulpe d’eau peu profonde du Japon, l’Octopus laqueus, et ils ont confirmé que non seulement l’animal dort pendant ces moments de « sommeil actif », mais qu’il présente également des similitudes avec notre propre sommeil à mouvements oculaires rapides (REM), qui correspond à la phase de sommeil paradoxal.
Pendant le sommeil lent, l’octopus laqueus semble blanche et immobile. Ce sommeil lent est ponctué d’épisodes de sommeil qui présentent une activité de type éveil (sommeil actif) à peu près toutes les heures. (Keishu Asada (OIST))
Lorsque les pieuvres roupillent, leur « sommeil lent » est interrompu par de courtes périodes de comportement frénétique proche du sommeil paradoxal dans le « sommeil actif », leurs motifs clignotent, leurs yeux et leurs bras se contractent et leur rythme respiratoire s’accélère.
Une pieuvre de l’espèce Octopus laqueus modifie les motifs de sa peau lors de son sommeil actif. (OIST)
Bien que les chercheurs ne puissent prétendre avoir prouvé que les animaux rêvent, l’état de sommeil paradoxal chez les mammifères est le stade au cours duquel les rêves se produisent le plus souvent.
Selon Sam Reiter, auteur principal de l’étude et professeur à l’OIST :
Tous les animaux semblent présenter une certaine forme de sommeil, même les animaux simples comme les méduses et les mouches des fruits. Mais pendant longtemps, seuls les vertébrés étaient connus pour passer d’un stade de sommeil à l’autre.
Pendant le « sommeil lent », le cerveau de la pieuvre émettait le type de formes d’ondes observées pendant le sommeil non paradoxal chez les mammifères comme nous, connues sous le nom de fuseaux de sommeil, dont on pense qu’ils sont liés à la consolidation des souvenirs. Grâce à un microscope construit par le premier auteur de l’étude, Tomoyuki Mano, il a été constaté que ces ondes ressemblant à des fuseaux de sommeil provenaient de la région du cerveau associée à l’apprentissage et à la mémoire, ce qui laisse supposer qu’elles pourraient fonctionner de la même manière que chez les humains.
Selon Leenoy Meshulam, de l’université de Washington :
Le fait que le sommeil en deux phases ait évolué indépendamment chez des créatures très proches, comme les pieuvres, qui ont des structures cérébrales importantes mais complètement différentes de celles des vertébrés, suggère que le fait de disposer d’une phase active, semblable à l’éveil, pourrait être une caractéristique générale de la cognition complexe.
Et lorsque les scientifiques ne donnent pas d’ecstasy aux pieuvres, ils « effleurent doucement leur peau avec un pinceau ». Cette interruption toutes les deux ou trois minutes sur une période de 48 heures visait à déterminer l’effet de la privation de sommeil sur ces deux états de veille. Il en est résulté un taux plus élevé de sommeil actif, qui s’est déclenché plus rapidement, révélant avec une certitude absolue que cet état de clignotement et de tressaillement était bel et bien du sommeil.
Selon Aditi Pophale, coauteur de l’étude et doctorant à l’OIST :
Ce comportement compensatoire confirme que le stade actif est un stade essentiel du sommeil, nécessaire aux fonctions des pieuvres.
En outre, les images haute définition des motifs de la pieuvre pendant son sommeil actif ont montré que les animaux passaient par les mêmes couleurs et les mêmes formes que lorsqu’ils étaient éveillés. S’il est probable que la pieuvre procède ainsi pour s’entraîner à se camoufler lorsqu’elle est éveillée, ou simplement pour préserver la santé des cellules pigmentaires, cela pourrait également indiquer que l’animal se souvient ou réapprend des moments de sa période de conscience, comme dans un rêve.
Selon Reiter :
En ce sens, alors que les humains ne peuvent verbaliser le type de rêve qu’ils ont fait qu’une fois réveillés, le motif de la peau des pieuvres agit comme une lecture visuelle de l’activité de leur cerveau pendant le sommeil. À l’heure actuelle, nous ne savons pas laquelle de ces explications, s’il y en a une, pourrait être correcte. Nous sommes très intéressés par des recherches plus approfondies.
L’étude publiée dans Nature : Wake-like skin patterning and neural activity during octopus sleep et présentée sur le site de l’Okinawa Institute of Science and Technology : Octopus sleep is surprisingly similar to humans and contains a wake-like stage.
Sur la grande sophistication du camouflage des seiches
Entre-temps, toujours à l’OIST, en collaboration avec l’Institut Max Planck pour la recherche sur le cerveau (Allemagne), des scientifiques ont fait des découvertes sur les cousins des pieuvres, les seiches, et ils ont constaté que leur capacité à corriger la couleur de leurs motifs de camouflage indique un niveau de fonction cognitive et d’autonomie sur leurs changements beaucoup plus élevé qu’on ne le pensait auparavant.
Image ci-dessus : seiche commune, Sepia officinalis. (Stephan Junek, MPI Brain Research)
Les seiches sont passées maîtres dans l’art de se fondre dans leur environnement grâce à leurs organes cutanés, les chromatophores, qui se contractent et se détendent sous l’action des neurones du cerveau pour ajuster la pigmentation.
Extrémités des bras d’une seiche montrant les chromatophores (jaune, rouge et brun foncé), les “pixels” du système de visualisation de la peau. (Institut Max Planck pour la recherche sur le cerveau / S. Junek)
Mais comme l’a constaté Sam Reiter, qui a également travaillé sur l’étude de la pieuvre, ce sont les détails qui posent problème, il ajoute :
Des recherches antérieures suggéraient que les seiches ne disposaient que d’une sélection limitée de composants de motifs qu’elles utilisaient pour obtenir la meilleure adaptation à l’environnement. Mais nos dernières recherches ont montré que leur réponse en matière de camouflage est beaucoup plus compliquée et flexible, nous n’avions tout simplement pas été en mesure de la détecter car les approches précédentes n’étaient pas aussi détaillées ou quantitatives.
En utilisant des caméras à très haute résolution pour examiner de près la peau de la seiche européenne (Sepia officinalis) sur des arrière-plans qui changent rapidement, ils ont recueilli environ 200 000 images qui ont été analysées par un type d’IA.
La seiche commune se camoufle sur un fond naturel. L’animal dépasse souvent son objectif, fait des pauses et corrige sa position. Pendant que la seiche se camoufle, des caméras à haute résolution capturent en temps réel l’expansion et la contraction de dizaines, voire de centaines de milliers de chromatophores. (Theodosia Woo/ OIST)
Les résultats ont montré que l’animal faisait défiler des motifs, en les adaptant à chaque chromatophore individuel, dont il existe potentiellement des millions, jusqu’à ce qu’il parvienne à un aspect général qu’il approuvait. Les scientifiques les ont observées en train de « corriger les couleurs », et chaque voie menant au motif final était différente, même lorsqu’elles étaient exposées au même arrière-plan, ce qui suggère une complexité dans leur comportement qui n’avait pas été observée auparavant.
Selon Theodosia Woo, coauteur de l’étude à l’Institut Max Planck pour la recherche sur le cerveau :
La seiche dépassait souvent le motif cutané visé, faisait une pause, puis revenait. En d’autres termes, les seiches ne se contentent pas de détecter l’arrière-plan et d’adopter directement un modèle défini ; il est probable qu’elles reçoivent en permanence des informations sur leur modèle de peau et qu’elles les utilisent pour ajuster leur camouflage.
Nous ne savons pas encore exactement comment elles reçoivent ce retour d’information, si elles utilisent leurs yeux ou si elles ont une idée de la contraction des muscles autour de chaque chromatophore.
Pour Xitong Liang, coauteur principal de l’étude et anciennement à l’Institut Max Planck :
La prochaine étape consistera à effectuer des enregistrements neuronaux à partir du cerveau des seiches, afin de mieux comprendre comment elles contrôlent leurs capacités uniques et fascinantes de configuration de la peau.
L’étude publiée dans la revue Nature : The dynamics of pattern matching in camouflaging cuttlefish, présentée sur le site de l’Okinawa Institute of Science and Technology : Cuttlefish camouflage: more than meets the eye et sur le site de l’Institut Max Planck pour la recherche sur le cerveau : Cephalopod camouflage: searching for good matches.