Un ouragan a produit une évolution "instantanée" dans l’espace et non dans le temps
Un nouveau type d’évolution, appelée « tri spatial » (spatial sorting), consiste en une forme rapide d’évolution axée sur la dispersion plutôt que sur l’aptitude, qui bouleverse bon nombre des idées sur la sélection naturelle de Darwin.
Image d’entête : punaises (Jadera haematoloma) étudiées ici. (Mattheau Comerford/ Université Rice)
Une nouvelle étude portant sur l’ouragan Harvey, un ouragan de catégorie 4 qui a touché les Etats-Unis, au Texas et en Louisiane en août 2017, et sur la punaise des savanes à épaulettes rouges (Jadera haematoloma) a été publiée cette semaine (lien plus bas).
L’ouragan Harvey dans le golfe du Mexique le 24 août 2017 capturée par le satellite météorologique GOES-16. (NOAA/ NASA GOES Project)
Selon le Dr Scott Egan, biologiste évolutionniste à l’Université de Rice (États-Unis) et auteur principal de l’étude :
Avec les changements profonds et rapides que nous observons dans l’environnement, le mouvement devient essentiel pour la survie des espèces. Cette étude montre que si la sélection naturelle reste incroyablement importante, il existe une autre forme de changement évolutif directement lié au mouvement, qui pourrait faire une énorme différence dans l’évolution des organismes.
La sélection naturelle est l’idée de la survie du « plus apte », dans ce cas, l’aptitude signifie que l’on peut rester en vie plus longtemps et s’accoupler ce qui, au fil des millénaires, crée des espèces parfaitement adaptées à leur écosystème. Le tri spatial (Spatial sorting), quant à lui, concerne la manière dont une créature peut s’étendre ou se disperser au mieux dans de nouvelles zones. Les créatures dotées des meilleures capacités de dispersion (par exemple de grandes ailes) sont celles qui finissent par se répandre le plus rapidement. Mais cela ne se produit pas sur de longues périodes, comme l’évolution se produit dans l’espace et non dans le temps, elle peut se produire en quelques générations seulement.
Illustration présentant la différence entre la sélection naturelle qui se fait à travers le temps et le tri spatial qui se fait dans l’espace, lorsqu’une espèce se déplace ou étend son territoire. (Université Rice)
Il s’agit d’une forme de changement évolutif peu étudiée et peu reconnue qui est apparue dans la littérature sur les espèces envahissantes. Par exemple, les crapauds géants d’Australie ont présenté ces caractéristiques. Et jusqu’à ces dix ou vingt dernières années, le tri spatial n’était pas vraiment considéré comme une forme significative de changement évolutif.
L’équipe a eu la chance de collecter des données sur les punaises sur 15 sites autour de Houston, au Texas, environ 10 mois avant l’ouragan Harvey. Lorsque l’ouragan est passé, il a inondé 11 des 15 sites et les insectes ont subi des épisodes d’extinction locale. Mais ce qui a surpris les chercheurs, c’est qu’en l’espace de 3 mois, des insectes dotés d’ailes et de becs plus longs ont commencé à revenir sur les sites. Si les longues ailes sont compatibles avec la théorie du tri spatial, les longs becs, eux, ne le sont pas.
Selon le Dr Mattheau Comerford, qui a travaillé avec Egan sur cette recherche :
En examinant nos données et nos précédentes publications, nous avons constaté que la longueur du bec et la longueur de l’aile étaient génétiquement liées, ce qui signifie que les insectes dotés d’ailes plus longues avaient également des becs plus longs. Ainsi, maintenant que nous avions de meilleurs “disperseurs” qui poussaient au tri spatial, ils entraînaient avec eux ces autres caractéristiques, des becs plus longs, qui n’avaient rien à voir avec la dispersion.
Et comme ces insectes aux longues ailes et au long bec sont restés dans les parages cela signifie, pour Comerford, que « le tri spatial avait un effet beaucoup plus fort que l’effet de la sélection naturelle à ce moment-là.
Les chercheurs suggèrent que le tri spatial deviendra de plus en plus courant à mesure que le changement climatique provoquera des événements météorologiques plus extrêmes, mais nous ne pouvons pas encore dire comment cela se passera exactement.
Selon Comerford :
La caractéristique de l’Anthropocène et de tous les changements que nous observons dans l’environnement est que la capacité à se déplacer et à migrer vers de nouveaux endroits plus accueillants est essentielle à la survie des organismes. Cette étude montre qu’il existe une force dont nous n’avons pas tenu compte et qui pourrait faire une énorme différence dans la survie et l’évolution des organismes qui se déplacent.
L’étude publiée dans Nature Ecology and Evolution : Spatial sorting promotes rapid (mal)adaptation in the red-shouldered soapberry bug after hurricane-driven local extinctions et présentée sur le site de l’Université Rice : Climate catastrophe produced instantaneous evolutionary change.