Les humains réagissent toujours aux voix lorsqu’ils dorment
Des neuroscientifiques de l’hôpital universitaire de la Pitié-Salpêtrière et de la Sorbonne Université affirment aujourd’hui avoir observé des personnes réagissant à des stimuli verbaux dans presque toutes les phases du sommeil.
Selon Lionel Naccache de l’Institut du Cerveau à la Sorbonne et coauteur de l’étude (lien plus bas) :
Nos recherches nous ont appris que l’éveil et le sommeil ne sont pas des états stables : au contraire, nous pouvons les décrire comme une mosaïque de moments conscients et apparemment inconscients.
Et selon Delphine Oudiette, coauteure de l’étude :
L’une de nos études précédentes a montré qu’une communication bidirectionnelle, de l’expérimentateur au rêveur et vice versa, est possible pendant le sommeil paradoxal lucide (On parle de rêve lucide lorsque l’on sait que l’on rêve, et le sommeil paradoxal, ou mouvement oculaire rapide, est le stade du sommeil au cours duquel la plupart des rêves se produisent). Nous voulions maintenant savoir si ces résultats pouvaient être généralisés à d’autres stades du sommeil et à des personnes qui ne font pas de rêves lucides.
Les chercheurs ont demandé à 49 personnes, 27 atteintes de narcolepsie et 22 ne souffrant pas de troubles du sommeil, de faire une sieste, tout en étant surveillées à l’aide d’un équipement de polysomnographie qui suit l’activité cérébrale et cardiaque, ainsi que les mouvements des muscles et des yeux. Les personnes atteintes de narcolepsie se sentent somnolentes pendant la journée et font souvent des rêves lucides. Au total, 21 des 27 participants narcoleptiques faisaient régulièrement des rêves lucides.
Pendant leur sommeil, les chercheurs leur ont fait passer un test de « décision lexicale » : un haut-parleur diffusait une voix humaine prononçant à la fois des mots réels et des mots inventés. Les participants devaient sourire ou froncer les sourcils selon que le mot était réel ou non.
A partir de l’étude : Les participants atteints de narcolepsie ont fait cinq siestes (nap) de 20 minutes au cours de la même journée. Au cours de chaque sieste, des périodes de stimulation (ON) alternaient, toutes les minutes, avec des périodes où aucun stimulus n’était présenté (OFF). Pendant les périodes ON, les participants se voyaient présenter des mots et des pseudo-mots et devaient soit froncer les sourcils (contractions des muscles corrugateurs), soit sourire trois fois (contractions des muscles zygomatiques) en réponse aux stimuli. Les stimuli étaient présentés toutes les 10 s (±1 s). Après chaque sieste, les participants ont été invités à indiquer si (1) ils avaient fait un rêve, (2) s’ils étaient lucides et (3) s’ils se souvenaient des mots présentés pendant la sieste. Immédiatement après ce débriefing, les participants ont effectué une tâche de reconnaissance « ancien/nouveau » à choix forcé. Les participants sains ont suivi exactement la même procédure, à l’exception d’une seule sieste de 100 minutes. (B. Türker, E. Munoz Musat, E. Chabani et col./ Nature neuroscience)
Selon Isabelle Arnulf, coauteure de l’étude :
La plupart des participants, qu’ils soient narcoleptiques ou non, ont répondu correctement aux stimuli verbaux tout en restant endormis. Ces événements étaient certainement plus fréquents pendant les épisodes de rêve lucide, caractérisés par un niveau de conscience élevé. Néanmoins, nous les avons observés occasionnellement dans les deux groupes pendant toutes les phases du sommeil.
Les chercheurs ont observé des réponses de la part des participants à tous les stades du sommeil sauf un, la seule exception étant les participants sans troubles du sommeil pendant le sommeil à ondes lentes.
On a également demandé aux participants s’ils avaient fait un rêve lucide et s’ils se souvenaient d’avoir interagi avec quelqu’un après avoir été réveillés par une alarme. La combinaison du sourire et des données de la polysomnographie a permis aux chercheurs de prédire les moments du sommeil où une personne est plus susceptible de réagir à des stimuli.
Selon Naccache :
Chez les personnes ayant fait un rêve lucide pendant leur sieste, la capacité à répondre à des mots et à rapporter cette expérience au réveil était également caractérisée par une signature électrophysiologique spécifique. Nos données suggèrent que les rêveurs lucides ont un accès privilégié à leur monde intérieur et que cette conscience accrue s’étend au monde extérieur.
Les chercheurs espèrent voir si les schémas qu’ils ont repérés sont liés à la qualité du sommeil, et donc s’ils pourraient être utilisés pour aider à traiter les troubles du sommeil.
Selon Oudiette :
Des techniques avancées de neuro-imagerie, telles que la magnétoencéphalographie et l’enregistrement intracrânien de l’activité cérébrale, nous aideront à mieux comprendre les mécanismes cérébraux qui orchestrent le comportement des dormeurs.
Les chercheurs pensent même que ces fenêtres pourraient permettre une communication en temps réel avec les dormeurs, ce qui leur permettrait d’en apprendre davantage sur le sommeil.
L’étude publiée dans Nature neuroscience : Behavioral and brain responses to verbal stimuli reveal transient periods of cognitive integration of the external world during sleep et présentée sur le site du CNRS : Un sommeil ouvert sur le monde : nous sommes capables de répondre aux sollicitations extérieures tout en dormant.