Un étudiant utilise l’intelligence artificielle pour déchiffrer un mot dans un ancien parchemin romain carbonisé par une éruption volcanique il y a 2 000 ans
À l’ombre du Vésuve en éruption en 79 après J.-C., la ville romaine d’Herculanum, autrefois florissante, a été recouverte de cendres et de pierres ponces. Parmi les victimes, la bibliothèque d’une luxueuse villa, où des centaines de parchemins anciens ont connu une fin tragique. Pendant des siècles, ces parchemins semblaient perdus pour l’histoire, leurs secrets ayant été carbonisés au point d’être méconnaissables. Pourtant, ce que les chercheurs ont réussi à faire près de deux millénaires plus tard est à peine croyable.
Image d’entête : le mot grec pour « pourpre » (πορϕυρας) a été extrait d’un parchemin d’Herculanum. (Vesuvius Challenge)
Un groupe de chercheurs amateurs a réussi à déchiffrer les lettres d’un ancien parchemin non ouvert. Grâce à l’intelligence artificielle, ils ont non seulement jeté un coup d’œil à l’intérieur du délicat parchemin sans le toucher, mais ils en ont également extrait des mots.
Cette avancée est le fruit du Vesuvius Challenge, une initiative lancée au début de l’année par les magnats de la Silicon Valley Nat Friedman (ancien PDG de Github) et Daniel Gross. Soutenu par la Silicon Valley, le projet propose une quête alléchante : offrir des récompenses en espèces pouvant atteindre 700 000 dollars à quiconque parviendrait à retrouver des mots lisibles dans les manuscrits carbonisés.
L’un des rouleaux de parchemin carbonisé d’Herculanum. (Vesuvius Challenge)
Tout a commencé avec Brent Seales, informaticien à l’université du Kentucky, qui a utilisé un accélérateur de particules comme une sorte de machine à rayons X pour scanner les couches de deux parchemins et de trois fragments de papyrus sans les manipuler physiquement. Auparavant, lorsque les scientifiques essayaient de lire les parchemins d’Herculanum, nombre d’entre eux se désagrégeaient.
Radiographie 3D d’un parchemin. (EDUCE project)
Mais Friedman et Gross ont vu une opportunité : et si les nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle pouvaient être utilisées pour interpréter les couches numérisées par Seales ?
Attirés par l’argent et la notoriété, beaucoup ont tenté leur chance. Mais c’est Luke Farritor, un étudiant de 21 ans de l’université du Nebraska à Lincoln (États-Unis) et stagiaire chez SpaceX, qui a réussi ce que beaucoup pensaient impossible. Grâce à un algorithme d’apprentissage automatique qu’il a mis au point, Luke Farritor a pu détecter des lettres grecques sur le papyrus roulé, jusqu’alors illisible. Là où d’autres ont échoué, Farritor s’est concentré sur les subtiles différences de texture de la surface du papyrus pour entraîner son réseau neuronal, qui a ensuite accentué l’encre.
L’un des mots déchiffrés, πορϕυρας (porphyras), se traduit par « pourpre » (image d’entête). Bien qu’il ne s’agisse que d’un seul mot, ce n’est probablement que le premier d’une longue série. Il évoque déjà des images de royauté et de richesse, bien que le contexte complet reste un mystère pour l’instant.
Peu après la percée de Farritor, Youssef Nader, étudiant égyptien en biorobotique à Berlin, a trouvé le même mot dans la même zone du papyrus en utilisant une méthode différente. Farritor a reçu le prix des « premières lettres », soit 40 000 dollars pour avoir lu plus de 10 caractères, tandis que Nader a obtenu un prix de 10 000 dollars.
Selon Brent Seales :
Ces textes ont été écrits par la main de l’homme à une époque où les religions mondiales étaient émergentes, où l’Empire romain régnait encore et où de nombreuses régions du monde étaient inexplorées. La plupart des écrits de cette période sont perdus. Mais aujourd’hui, les manuscrits d’Herculanum sont intacts.
Pendant des siècles, les chercheurs ont aspiré à lire les centaines de parchemins conservés sous des couches de cendres volcaniques, mais ils ont été déçus et n’ont trouvé que des morceaux fragmentés. Toutefois, cette percée a ravivé l’espoir, créant un précédent pour la potentielle révélation d’un nombre incalculable d’autres textes anciens.
L’enjeu est également de taille. Les rouleaux d’Herculanum constituent la seule bibliothèque intacte connue de l’Antiquité. De nombreux textes que nous connaissons aujourd’hui ont été reproduits à d’innombrables reprises, ce qui peut entraîner des distorsions. En revanche, la bibliothèque d’Herculanum offre des ouvrages originaux, intacts, épargnés par la marche inexorable du temps. La possibilité de puiser dans ce réservoir de connaissances pourrait modifier considérablement notre connaissance du passé.
Parmi les papyrus récupérables, les chercheurs ont déchiffré environ 150 des 585 rouleaux déroulés, dont 44 ouvrages attribués au philosophe et poète épicurien Philodème, un habitant d’Herculanum du Ier siècle av. On pense que c’est Philodème lui-même qui a créé la bibliothèque de la ville romaine.
Annoncée sur le site du Vesuvius Challenge : First word discovered in unopened Herculaneum scroll by 21yo computer science student.