Un champignon évolue rapidement pour passer du mort au vivant
Une étude révèle que les champignons à chapeau du genre Mycena (mycènes), vivent non seulement sur les arbres et les plantes morts, mais aussi sur les vivants. Les résultats indiquent que ces champignons ont fait un saut évolutif qui remet en question ce que l’on sait des rôles écologiques des champignons.
Image d’entête : les mycènes sont reconnaissables à leur chapeau. Ici, il s’agit de mycena haematopus. (Université de Copenhague)
Le fait que des champignons aient commencé à envahir les vivants est une idée angoissante pour tous ceux qui ont toujours pensé qu’ils ne se nourrissaient que de morts. Ou, du moins, pour ceux qui ont vu The Last of Us, une série post-apocalyptique dans laquelle les humains combattent d’implacables zombies infectés par des champignons. Heureusement, la réalité est moins dramatique.
Une étude publiée la semaine dernière (lien plus bas) par le département de biologie de l’université de Copenhague (Danemark) suggère que ce genre de champignon, traditionnellement considéré comme saprotrophe (c’est-à-dire décomposant la matière organique non vivante), est en train de faire un bond en avant dans l’évolution.
Selon Christoffer Bugge Harder, auteur principal de l’étude :
Grâce à des études génétiques, nous avons découvert que les champignons Mycena sont systématiquement présents dans les racines des plantes hôtes vivantes. Cela suggère qu’ils sont en train d’évoluer, passant du statut de décomposeurs de matériel végétal non vivant à celui d’envahisseurs de plantes vivantes, dans des conditions favorables.
Le chercheur Christoffer Bugge Harder sur le terrain. (Christoffer Bugge Harder/ Université de Copenhague)
La recherche démontre également que certaines de ces espèces de champignons montrent même des signes précoces de capacité à agir en tant que mutualistes, c’est-à-dire à vivre en symbiose avec les arbres. Contrairement aux terrifiants champignons de The Last of Us, les chercheurs pensent que les Mycena veulent avant tout faire le bien, du point de vue de la plante. Cela prend la forme d’une sorte de cour évolutive dans laquelle elles vivent en harmonie avec leurs hôtes vivants.
Selon Harder :
Nous constatons que certaines Mycena semblent échanger de l’azote, un nutriment indispensable aux plantes, avec du carbone provenant des plantes. Une fois qu’ils ont pénétré dans une plante vivante, les champignons peuvent choisir trois stratégies. Ils peuvent être des parasites nuisibles et aspirer la vie de leurs nouveaux hôtes ; ils peuvent se tapir comme des vautours, attendant inoffensivement que la plante meure, et être les premiers à se régaler de la « charogne » ; ou ils peuvent commencer à travailler ensemble. Certaines espèces de Mycena développent progressivement la capacité de collaborer, bien qu’elle ne soit pas encore parfaitement au point.
D’autres champignons, le genre Amanita par exemple, sont connus pour collaborer avec les plantes vivantes, une capacité qu’ils ont développée il y a plusieurs millions d’années. Mais les Amanites ont depuis longtemps perdu leur capacité à survivre sans leurs hôtes. C’est ainsi que nous avons traditionnellement divisé les champignons en groupes écologiques strictement distincts : mutualistes, parasites ou saprophytes.
Les mycènes semblent se situer quelque part entre ces deux niches écologiques.
Toujours selon Harder :
Cette distinction stricte est de plus en plus remise en question, et nos recherches sur les mycènes montrent que les limites sont de plus en plus floues. Certains Mycena ont trouvé leur propre solution et assument plusieurs rôles écologiques différents.
Mycena leptocephala. (Arne Aronsen/ Université de Copenhague)
En examinant les isotopes du carbone chez les Mycena, les chercheurs ont pu conclure que ces champignons sont des décomposeurs saprotrophes, mais aussi mutualistes. Et peut-être même parasites.
Les Mycena sont des opportunistes. Contrairement aux Amanita, ils peuvent facilement se développer sans avoir besoin d’envahir les plantes, mais si l’occasion se présente, c’est un bonus intéressant. Ils recherchent également les racines vivantes, où ils ont de l’azote à offrir, car les champignons peuvent absorber l’azote plus facilement qu’un arbre, pour un coût raisonnable.
Le paiement se fait soit sous forme de carbone provenant de l’hôte pendant qu’il est vivant, ou lorsqu’il meurt et que le patient décomposeur se met au travail. Ou peut-être les deux. Les conditions favorables recherchées par Mycena semblent liées à l’activité humaine.
Il est raisonnable de penser que nous, les humains, avons joué un rôle dans cette adaptation, car nos plantations monoculturelles, nos peuplements forestiers par exemple, ont fourni aux champignons des conditions optimales pour s’adapter. Les champignons semblent avoir saisi cette opportunité. Les spécialistes prospèrent dans les forêts anciennes. Dans ce scénario, il n’y a pas beaucoup de chances pour que Mycena s’installe sur des arbres vivants, car les champignons spécialisés sont déjà présents dans ce milieu naturel et ne laissent pas entrer les autres.
En revanche, les plantations homogènes cultivées par les humains et composées de jeunes plants du même âge donnent une chance au Mycena, car les champignons spécialisés ne s’y sont pas encore implantés. Il en va de même pour les environnements difficiles, comme l’Arctique, ou les environnements perturbés, comme ceux où il y a beaucoup d’animaux qui paissent.
L’étude publiée dans Environmental Microbiology : Mycena species can be opportunist-generalist plant root invaders et présentée sur le site de l’Université de Copenhague : Fungal evolution discovered: Mycena can now invade living hosts.