Misophonie et système miroir : pourquoi les sons de mastication mettent certaines personnes dans tous leurs états ?
Y a-t-il certains sons qui vous rendent vraiment fou ? Au-delà de la simple frustration ou de l’agacement, des sons qui déclenchent des sentiments incontrôlables de colère et de dégoût ? Si c’est le cas, il est fort probable que vous souffriez d’un trouble connu sous le nom de misophonie.
Ce trouble a été proposé pour la première fois il y a une vingtaine d’années et, en 2013, un trio de chercheurs néerlandais a présenté des critères de diagnostic spécifiques dans le but de le classer officiellement parmi les troubles psychiatriques. Malgré un nombre croissant de recherches, la misophonie n’est pas encore officiellement considérée comme un trouble psychiatrique.
Il se caractérise par le fait que certains sons déclenchent une aversion physique immédiate. Dans la majorité des cas étudiés, la misophonie est principalement liée à des sons oraux tels que la respiration, la mastication et la déglutition. Mais le trouble peut également être déclenché par des sons de tapotement, de cliquetis et de mouvement, souvent associés aux mouvements humains.
Une étude influente réalisée en 2017 sur les bases neurologiques de la misophonie a révélé que les sons déclencheurs étaient associés à une activité accrue dans le cortex insulaire antérieur (insula antérieure), une région du cerveau impliquée dans le traitement des émotions. L’hypothèse suggérait que la misophonie impliquait un dysfonctionnement hyperactif dans certaines régions du cerveau, mais tout le monde ne fut pas convaincu. En fait, certains des chercheurs néerlandais qui ont présenté les premiers critères de diagnostic de cette pathologie en 2013 ont affirmé que cette étude était remplie d’erreurs.
Cette nouvelle recherche, menée par la même équipe de l’université de Newcastle upon Tyne (Royaume-Uni) responsable de l’étude de 2017, est partie de l’observation que manger et mâcher semblent être systématiquement signalés comme des déclencheurs de la misophonie.
Les résultats ont révélé une activation accrue des zones cérébrales responsables de la motricité orofaciale (notamment la bouche) en réponse aux sons déclencheurs de la misophonie. Les personnes souffrant de misophonie présentaient également une connectivité fonctionnelle accrue à l’état de repos entre les zones de motricité orofaciale et les cortex auditif et visuel.
Selon Sukhbinder Kumar, auteur principal de l’étude :
Ce qui nous a surpris, c’est que nous avons également trouvé un modèle similaire de communication entre les régions visuelles et motrices, ce qui montre que la misophonie peut également se produire lorsqu’elle est déclenchée par quelque chose de visuel. Cela nous a conduits à penser que cette communication active un phénomène appelé « système miroir« , qui nous aide à analyser les mouvements effectués par d’autres personnes en activant notre propre cerveau de manière similaire, comme si nous faisions nous-mêmes ce mouvement.
Le système des neurones miroirs (ou “système miroir”) a été découvert dans les années 1990 par une équipe de scientifiques italiens. Il a été constaté que certaines parties du cerveau d’un singe déclenchaient une activité neuronale à la fois lorsque l’animal effectuait une action et lorsqu’il observait un congénère effectuer cette même action.
Au cours des années suivantes, une activité cérébrale similaire au « système miroir » a été détectée chez les humains. Cependant, certains chercheurs affirment que les systèmes de neurones miroirs chez l’humain n’ont pas encore été clairement démontrés.
Kumar et l’équipe à l’origine de cette nouvelle recherche admettent que leurs résultats sont encore très hypothétiques puisqu’il n’existe aucune preuve directe par neuro-imagerie de la présence de neurones miroirs chez l’humain. La technologie actuelle de l’IRM est trop grossière pour permettre un zoom clair sur l’activité individuelle des neurones, mais l’hypothèse de la misophonie des neurones miroirs est néanmoins convaincante.
Selon Kumar :
Nous pensons que chez les personnes atteintes de misophonie, la suractivation involontaire du système miroir entraîne une sorte de sentiment que les sons émis par d’autres personnes font intrusion dans leur corps, hors de leur contrôle. Il est intéressant de noter que certaines personnes atteintes de misophonie peuvent atténuer leurs symptômes en mimant l’action générant le son déclencheur, ce qui pourrait indiquer de la restauration d’un sentiment de contrôle.
Tim Griffiths, auteur principal de la nouvelle étude, indique que leurs futurs travaux viseront à déterminer si différents types de thérapie axés sur la façon dont le cerveau représente le mouvement pourraient constituer un traitement efficace de la misophonie. Les méthodes actuelles telles que la thérapie sonore (thérapie acoustique d’habituation) et la thérapie d’exposition sont souvent utilisées pour aider les personnes souffrant de misophonie.
Pour Griffiths :
L’étude offre de nouvelles façons d’envisager les options de traitement de la misophonie. Au lieu de se concentrer sur les centres sonores du cerveau, comme le font de nombreuses thérapies existantes, les thérapies efficaces devraient également tenir compte des zones motrices du cerveau.
L’étude publiée dans The Journal of Neuroscience : The motor basis for misophonia et présentée sur le site de l’université de Newcastle upon Tyne : Supersensitive connection causes hatred of noises.