Comme les humains, les bonobos aussi ressentent du dégout… surtout si l’on met des excréments près de leur repas
Nous partageons 98,7% de notre ADN avec les bonobos, plus qu’avec toute autre créature sur Terre, ce qui conduit à de nombreuses similitudes entre eux et nous. Ainsi, il n’y a pas que les humains qui sont dégoûtés par les odeurs putrides et les textures humides, les bonobos aussi. Selon une nouvelle étude, pour ces primates, il est important d’avoir accès à des sources de nourriture propre, à l’écart des excréments, du sol ou des mauvaises odeurs. L’origine du dégoût pourrait être retrouvée grâce à ce genre de découvertes.
Image d’entête: à partir d’une vidéo présentant l’une des expériences de sélection alimentaire réalisées sur les primates. (Université de Kyoto/ Cécile Sarabian)
Les scientifiques pensent que le dégoût est un système adaptatif qui a évolué afin de protéger les animaux contre les parasites et divers agents pathogènes, une contre-stratégie destinée à atténuer les infections. Ces organismes menaçants se rassemblent souvent dans des aliments pourris ou des liquides/ matières corporels que nous, les humains, trouvons répulsifs. La même réaction semble exister chez d’autres animaux. Par exemple, les ongulés qui broutent préfèrent se nourrir loin des zones contaminées par les excréments, et nos cousins primates semblent employer des stratégies similaires.
En 2017, des chercheurs de l’Institut de recherche sur les primates de l’université de Kyoto (Japon) ont rapporté les premières preuves expérimentales que l’exposition potentielle à des contaminants biologiques (matières fécales, sang, sperme) peut influencer les décisions d’alimentation des chimpanzés (Pan troglodytes). Aujourd’hui, la même équipe, dirigée par la primatologue Cécile Sarabian, est arrivée à des conclusions similaires concernant les bonobos (Pan paniscus).
Les chercheurs ont effectué une série d’expériences au cours desquelles il a été présenté à des bonobos captifs divers aliments : certains contaminés par des matières fécales ou du sol, une “chaîne alimentaire” (image ci-dessous) liée à un contaminant, des aliments précédemment contaminés, ou seulement les odeurs de matières fécales ou d’aliments pourris.
A partir de l’étude, expérience de la “chaine alimentaire contaminée” : les bonobos sont restés à l’écart des aliments à proximité de matières fécales.(Université de Kyoto/ Cécile Sarabian)
Les bonobos étaient heureux de manger la nourriture propre et non contaminée, mais ils restaient bien à l’écart de toute nourriture contaminée. Plus un aliment était proche d’un contaminant, plus la répulsion était forte. Inversement, lorsque la nourriture était plus éloignée d’un contaminant, la sensibilité des primates diminuait et selon Sarabian :
Certains individus ont simplement refusé de prendre des récompenses alimentaires lorsque cette dernière impliquait une contamination.
Dans une autre expérience, on a constaté que les bonobos étaient moins susceptibles de toucher ou de goûter les friandises, ou même d’utiliser des outils pour les atteindre, lorsqu’ils sont confrontés à des odeurs nauséabondes. Ce sont précisément des réactions que l’on s’attendrait à voir chez un animal avec un “système de dégoût” en place.
Il est intéressant de noter que les bébés et les juvéniles ont fait preuve de beaucoup moins de précautions lorsqu’ils manipulent des aliments à proximité de contaminants, un peu comme le font les nourrissons humains. Bien que ceux-ci puissent tomber malades à la suite de ce genre de comportement, les chercheurs émettent l’hypothèse qu’il y a certains avantages comme le renforcement de leur système immunitaire à un moment critique de leur développement.
Auparavant, Sarabian et ses collègues ont également étudié les macaques japonais, qui semblent également présenter des réactions de dégoût.
Selon Sarabian :
La réaction de dégoût la plus intense que j’ai vue à travers les différents sites et types de terrain revient à un macaque japonais de l’île de Koshima, qui a accidentellement marché sur un caca, puis a traversé toute la plage en sautant sur ses deux mains et le reste du pied pour trouver un tronc d’arbre mort où il s’est méticuleusement frotté le pied souillé.
Malgré les similitudes entre les réactions de dégoût des humains et des bonobos, il semble y avoir quelques différences clés. Nous sommes plutôt réticents à ingérer des aliments nouveaux qui ont une apparence différente de ce à quoi nous sommes habitués. Ce genre de comportement, la tendance à rester à l’écart des nouveaux aliments ou à être prudent vis à vis de ceux-ci, s’appelle la néophobie, mais les bonobos ne semblent pas la partager, du moins pas à la même intensité. Pendant les expériences, les bonobos se sont gavés de fruits qu’ils n’avaient jamais vus auparavant, sans aucun signe apparent d’hésitation.
Il est important de noter que les chercheurs n’ont pas prouvé que les bonobos expriment du dégoût, ou pas d’une manière que nous pouvons reconnaître.
Selon Andrew MacIntosh, professeur agrégé à l’université de Kyoto et coauteur de l’étude :
Nos résultats semblent indiquer que les comportements des bonobos sont motivés par le dégoût, seulement parce que nous savons que le comportement humain dans des situations similaires est motivé par le dégoût, mais ce n’est qu’une ressemblance fonctionnelle, et nous ne pouvons pas savoir ce que les bonobos pensent ou ressentent au moment où ils répondent à nos expériences.
Cela dit, les chercheurs prévoient de continuer à étudier les bonobos et d’autres primates avec l’intention d’enquêter sur les origines du dégoût chez les humains. Sarabian mène actuellement des recherches de terrain dans la forêt équatoriale de la République démocratique du Congo, où elle étudie le lien entre les comportements de mâchonnement et l’infection parasitaire chez les bonobos sauvages.
Toujours selon M. MacIntosh :
La première étape consiste à vérifier si les réactions comportementales à des choses que les humains trouvent dégoûtantes sont similaires chez d’autres espèces, comme les bonobos testés ici. Les substances comme les excréments et les aliments pourris sont plus ou moins universels et dégoûtants chez l’homme ; nous nous attendons donc à voir des réactions similaires chez les primates non humains. Si nos réactions à ces choses sont observées chez d’autres espèces, cela signifie qu’elles ont probablement une histoire évolutive commune qui précède l’apparition des humains. De plus, les humains sont très visuels, alors nous nous attendons à ce que le fait de voir des choses dégoûtantes suscite une » réaction de dégoût « . Mais nous savons aussi que nous manifestons des réactions et des sentiments similaires lorsque nous sentons des matières fécales ou des aliments pourris, de sorte que la perception de » choses dégoûtantes » est multimodale « .
L’observation de réactions similaires aux éliciteurs de dégoût chez d’autres espèces, y compris par le biais de différentes modalités sensorielles comme la vue, l’odorat et le toucher, permet d’évaluer si nos propres réactions sont partagées avec d’autres espèces.
Les résultats ont été publiés dans la revue Philosophical Transactions of the Royal Society B. : Feeding decisions under contamination risk in bonobos et le blog de Cécile Sarabian ou vous pourrez découvrir des vidéos des différentes expériences.