En grande difficulté, les ours polaires se tournent, tant bien que mal, vers les œufs d’oiseaux marins pour se nourrir
S‘il y a un animal qui représente le mieux les défis du changement climatique, c’est bien l’ours polaire. Avec l’augmentation de la température et la fonte de la glace de mer, ils sont contraints de passer plus de temps à trouver de la nourriture sur la terre ferme, comme des œufs d’oiseaux. Mais il s’avère qu’ils ne sont pas très doués pour les trouver.
Image d’entête : Un ours polaire, les pattes couvertes de jaune d’œuf d’eider, sur l’île de Mitivik, au Nunavut. (Evan Richardson)
L’Arctique se réchauffe actuellement deux fois plus vite que le reste de la planète et, sans surprise, les animaux de l’Arctique luttent désespérément pour faire face à ces changements. Toutes les créatures de la chaîne alimentaire sont touchées, mais les prédateurs souffrent encore plus, car ils voient leurs terrains de chasse habituels réduits d’année en année.
Bien que les ours polaires se nourrissent traditionnellement d’autres mammifères marins chassés sur la banquise, ils sont connus pour se nourrir de manière opportuniste sur la terre ferme. Auparavant, il ne s’agissait pour eux que d’une collation occasionnelle, mais ces dernières années, cette pratique est devenue plus courante. On signale de plus en plus souvent que les ours se nourrissent d’œufs dans les colonies d’oiseaux et qu’ils se rendent sur la terre ferme lorsque la saison de reproduction des oiseaux commence.
Patrick Jagielski, biologiste à l’Université de Windsor (Canada), et ses collègues ont examiné les comportements décisionnels des ours polaires lors de la recherche de nourriture dans une grande colonie de reproduction de l’Eider à duvet (Somateria mollissima). Ils ont observé les ours polaires à l’aide de drones entre 5 h 30 et 20 h 30, en filmant les moments où ils étaient en train de se nourrir d’œufs. Les drones, en particulier, offrent une nouvelle façon d’étudier les animaux de l’Arctique, dans un environnement qui a longtemps été un défi pour les chercheurs.
A partir de l’étude : image de drone, d’ours polaire visitant des nids d’Eider. (Patrick M. Jagielski et Col./ Journal of the Royal Society)
L’étude a été menée spécifiquement sur l’île Mitivik, une île de 24 hectares située dans la baie d’Hudson au Canada.
Cette petite surface de terre accueille chaque été jusqu’à 8000 canards plongeurs, ou eiders. Et ils sont si nombreux que le nom de l’île signifie littéralement « l’endroit des canards ». Pas étonnant qu’elle soit devenue le lieu de prédilection de nombreux ours polaires affamés.
(Patrick M. Jagielski et Col./ Journal of the Royal Society)
L’évolution des conditions de la glace de mer a créé un chevauchement phénologique sur l’île Mitivik, de sorte que les ours polaires se déplacent désormais sur la terre ferme pendant la période de ponte et d’incubation des canards eiders. Par conséquent, les ours se nourrissent de plus en plus d’œufs d’eiders dans cette grande colonie de reproduction d’oiseaux marins, accumulant ainsi un nombre important de calories. C’est une très mauvaise nouvelle pour les eiders, et pas particulièrement une bonne nouvelle pour les ours polaires.
Les chercheurs ont remarqué que les ours étaient d’abord pointilleux sur les œufs qu’ils mangeaient, évitant probablement ceux qui étaient couverts d’excréments, une stratégie utilisée par les eiders pour éviter les prédateurs. Mais finalement, les ours ont surmonté leur dégoût et ont décimé les œufs, épuisant presque toute la colonie. Néanmoins, ils n’étaient pas de bons chasseurs.
Selon Jagielski :
Nous avons constaté que les ours arrivés plus tard visitaient de plus en plus de nids vides et ne se déplaçaient pas de manière à minimiser leur consommation d’énergie, mais qu’ils devenaient moins pointilleux sur les couvées qu’ils consommaient. Cela démontre que, si les espèces sont capables d’incorporer des ressources « moins préférées » dans leur régime alimentaire lorsque leur proie principale devient plus difficile à obtenir, elles peuvent ne pas être en mesure de le faire efficacement.
Cela suggère que si les ours sont contraints de passer de plus en plus de temps à chercher de la nourriture sur la terre ferme, ils déploieront beaucoup d’efforts avec peu de nourriture au final.
Une étude réalisée au début de l’année a révélé que les ours polaires dépendent désormais beaucoup plus des ressources alimentaires terrestres, dont la densité énergétique et l’énergie digestible globale sont nettement inférieures. Un ours polaire devrait manger 1,5 caribou, 37 ombles chevaliers, 74 oies des neiges et 216 œufs d’oie des neiges pour atteindre l’énergie digestible d’un phoque adulte.
Par ailleurs, une autre étude réalisée en 2020 a montré que si les humains ne réduisent pas considérablement leurs émissions de gaz à effet de serre dans les prochaines années, la plupart des populations d’ours polaires auront du mal à survivre au-delà de 2100. Certaines populations sont déjà proches de leurs limites de survie alors que la mer arctique continue de rétrécir, ont constaté les chercheurs.
L’étude publiée dans Journal of the Royal Society : Polar bears are inefficient predators of seabird eggs.