De simples bactéries forment des structures élaborées que l’on pensait réservées aux plantes et aux animaux
Selon de nouvelles recherches, les colonies bactériennes peuvent s’organiser en anneaux complexes qui présentent une « similitude intrigante » avec les embryons en développement et que l’on croyait propres aux plantes et aux animaux.
Image d’entête : la Bacillus subtilis, une bactérie présente dans le sol, crée des anneaux concentriques qui rappellent les » bandes » de développement créées par une horloge de segmentation. (Kwang-Tao Chou/ UC San Diego)
Les cellules bactériennes se regroupent en amas pour former des colonies compactes appelées biofilms, qui ont de plus en plus la réputation de se comporter étrangement comme des organismes multicellulaires. Ces biofilms sont présents presque partout, qu’il s’agisse de coques de bateaux, de cultures, de sources chaudes ou de la plaque dentaire collante et tenace qui s’accumule sur nos dents.
Mais, comme nous l’avons appris, les biofilms ne doivent pas être confondus avec des masses de cellules gluantes. Ils peuvent former des motifs sophistiqués qui ressemblent à la façon dont les plantes et les animaux développent des segments au cours de leur croissance (exemple : les cernes des arbres), comme le montre cette nouvelle étude.
Selon le biologiste moléculaire et auteur de l’étude, Gürol Süel, de l’université de Californie à San Diego, dont les précédentes recherches suggéraient que les biofilms partagent une mémoire collective similaire à celle des neurones du cerveau (bien que tous les scientifiques n’en soient pas convaincus).
Nous constatons que les biofilms sont beaucoup plus sophistiqués que nous ne le pensions.
De plus, les biofilms semblent également capables de recruter d’autres espèces bactériennes pour rejoindre leurs communautés à l’aide de signaux électriques à longue portée.
Dans cette dernière étude (lien plus bas), Süel et ses collègues ont observé des biofilms bactériens cultivés en laboratoire formant des structures annulaires qui rappellent les » stries » de développement observées chez les plantes et les animaux.
Chez les organismes multicellulaires, cette structuration cellulaire, connue sous le nom de segmentation ou métamétrie, donne naissance à différents types de tissus et à des formes corporelles complexes, alors que l’on pensait que les communautés de biofilms, qui sont essentiellement des amas de bactéries unicellulaires, ne formaient que les structures les plus primitives.
Selon les chercheurs :
Notre découverte démontre que les biofilms bactériens utilisent un mécanisme de modelage du développement que l’on croyait jusqu’à présent réservé aux vertébrés et aux systèmes végétaux.
En laboratoire, l’équipe a cultivé la Bacillus subtilis, une bactérie en forme de tige que l’on trouve dans le sol et chez l’humain et qui forme des biofilms plissés.
Privés d’azote, les biofilms en croissance se sont organisés en bandes circulaires claires, ressemblant à des cercles d’arbres et au type de segmentation observé dans les embryons en développement.
A partir de l’étude : la croissance d’une colonie (biofilm) de Bacillus subtilis pendant deux jours. (Chou et col./ Cell)
Les chercheurs pensent que cette configuration en anneau est générée par un circuit génétique sous-jacent dans les cellules bactériennes, qui répond à un stress extrême lorsque les nutriments, comme l’azote vital, sont en quantité insuffisante.
La modélisation mathématique et les expériences ont révélé qu’au fur et à mesure que les biofilms se développaient et engloutissaient des nutriments, une « vague » d’épuisement des nutriments traversait les cellules bactériennes, ce qui avait pour effet de « geler » chaque cellule sur place avec les gènes d’atténuation du stress qu’elles utilisaient à ce moment-là.
Selon les chercheurs, cette réponse pulsée au stress a créé des segments répétitifs de différents types de cellules dans le biofilm circulaire, ce qui correspond à un mécanisme « d’horloge et de forme d’onde », qui n’avait été observé auparavant que dans des organismes très évolués.
Représentation artistique de cellules dans le processus de l’horloge et du front d’onde, un mécanisme sophistiqué de structuration du développement associé aux organismes multicellulaires. (Nicholas Wilson/ UC San Diego)
Selon les chercheurs :
Dans un biofilm en expansion, ce mécanisme de « gel » pourrait naturellement se produire au cours du développement : les cellules répliquantes situées à la pointe du biofilm se développent, laissant derrière elles des cellules filles qui s’incrustent dans le biofilm et ont donc moins accès aux nutriments.
Süel et ses collègues poursuivent en spéculant que ce mécanisme de structuration pourrait être une autre façon pour les biofilms de faire face à des conditions imprévisibles, en couvrant leurs arrières pour ainsi dire, « car toutes les spores ne sont pas formées au même moment et dans la même région du biofilm. »
Ce n’est pas la première fois, cependant, que les scientifiques observent des communautés bactériennes imitant des organismes multicellulaires, et il existe sans aucun doute des différences marquées entre les deux, comme le notent les chercheurs.
En 2020, des scientifiques ont montré comment la croissance des biofilms reflète le développement embryonnaire, les colonies en expansion suivant une séquence étroitement orchestrée d’expression génétique sur plusieurs mois.
Pour le généticien Tomislav Domazet-Lošo, de l’Université catholique de Croatie :
Considérant que les plus anciens fossiles connus sont des biofilms bactériens, il est tout à fait probable que la première vie était également multicellulaire, et non une créature unicellulaire comme on l’a considéré jusqu’à présent.
Süel et ses collègues soulignent également que les biofilms ne présentent pas de frontières nettes entre les types de cellules, de la même manière que les embryons développent des couches cellulaires distinctes, de sorte que toute similitude apparente n’est que conceptuelle à ce stade.
Il n’en reste pas moins que ces récentes observations relancent de grandes questions sur ce qui définit un organisme multicellulaire, alors que de « simples » organismes unicellulaires semblent être bien plus évolués que nous ne le pensions initialement.
Ce débat sera ainsi ravivé par cette dernière étude.
L’étude publiée dans Cell : A segmentation clock patterns cellular differentiation in a bacterial biofilm et présentée sur le site de l’Université de Californie à San Diego : ‘Simple’ Bacteria Found to Organize in Elaborate Patterns.