Des différences inattendues ressortent d’une étude unique sur des jumelles identiques séparés à l’âge de 2 ans
En 1976, un nourrisson de deux ans a été trouvé seul, sans surveillance, dans un marché de Séoul, en Corée du Sud. Elle a été emmenée à l’hôpital où on lui a diagnostiqué une rougeole. Comme elle ne pouvait pas être identifiée, la petite fille a été placée dans une famille d’accueil. Plus tard, un couple d’Américains l’a adoptée et l’a élevée aux États-Unis. Ce n’est que plusieurs dizaines d’années plus tard, alors qu’elle était adulte, que cette femme a appris qu’elle avait une sœur jumelle identique et des chercheurs ont découvert que les jumelles sont étonnamment différentes à bien des égards.
Quels facteurs déterminent les performances scolaires ou notre personnalité ? C’est le sempiternel débat « nature contre culture ». Personne ne peut nier que l’éducation et l’instruction jouent un rôle essentiel dans la formation des individus, dont la qualité (ou l’absence de qualité) s’est avérée être un indicateur constant de la réussite à l’âge adulte.
Mais les gènes, qui peuvent façonner l’intelligence, les performances sportives ou prédisposer à des maladies, jouent également un rôle majeur dans notre développement. Mais dans quelle proportion ? Moitié-moitié peut-être ?
On peut affirmer sans risque que le poids de chaque facteur ne peut être établi avec précision. Les humains sont très compliqués et répondre à cette question nécessiterait une expérience randomisée strictement contrôlée, et comme nous le savons tous, la vie ne fonctionne pas vraiment comme ça.
Cependant, les jumelles sud-coréennes offrent une opportunité unique. Lorsque la sœur aux États-Unis a soumis son ADN en 2018 dans le cadre du programme sud-coréen de regroupement des membres de la famille, il y avait une correspondance et les scientifiques ont immédiatement sauté sur l’occasion pour effectuer quelques évaluations sur les jumelles.
Nancy L. Segal, professeur et directrice du Twin Studies Center de l’Université d’État de Californie à Fullerton, a évalué l’environnement familial de chaque jumelle, ses traits de personnalité, sa vision du monde et son système de valeurs, ses antécédents médicaux, ainsi que des éléments comme l’intelligence générale et la santé mentale.
Au cours de leur enquête, Segal et ses collègues ont appris que la jumelle sud-coréenne avait été élevée dans une famille solidaire et cohésive/ unie. Sa sœur adoptive n’a pas été abandonnée : sa disparition est le résultat d’un accident dû à la négligence de sa grand-mère qui l’a pratiquement perdue au marché. En revanche, la sœur qui a grandi aux États-Unis a été élevée par une famille plus stricte et plus religieuse, où les conflits étaient plus nombreux.
Il n’est peut-être pas surprenant que les environnements familiaux presque opposés des deux sœurs aient façonné des modèles radicalement différents de leur façon de voir le monde. La sœur élevée en Corée du Sud avait des valeurs plus collectivistes, une morale et des comportements sociaux qui privilégient le groupe par rapport aux intérêts de ses membres individuels, tandis que celle qui a grandi aux États-Unis avait des valeurs individualistes.
Mais ce qui est frappant, c’est l’énorme différence de capacités cognitives entre les deux sœurs. La femme élevée en Corée du Sud a obtenu des résultats considérablement plus élevés aux tests d’intelligence que sa sœur américaine, avec une différence de QI globale de 16 points.
Dans le cadre d’une étude réalisée en 2001 par l’université de Californie à Los Angeles, 10 paires de vrais jumeaux et 10 paires de faux jumeaux ont été soumis à une batterie de tests portant sur 17 capacités distinctes, dont la mémoire de travail verbale et spatiale, les tâches d’attention, les connaissances verbales, la vitesse motrice et les capacités visuospatiales. Les chercheurs ont également effectué des IRM pour scanner le cerveau de chaque volontaire. Lorsqu’ils ont comparé chaque paire de jumeaux, les chercheurs ont été stupéfaits par la similitude de leurs cerveaux, tant en termes de structure que de capacités cognitives, ce qui les a amenés à conclure que le QI est héréditaire.
Anecdotiquement parlant, les vrais jumeaux semblent souvent avoir des trajectoires de vie similaires. Scott et Mark Kelly sont de vrais jumeaux et ont tous deux réussi de façon extraordinaire à devenir des astronautes de la NASA, voyageant dans la Station spatiale internationale (une précédente étude a d’ailleurs évalué leur différence physiologique entre Scott Kelly resté un an dans l’espace par rapport à son frère resté sur Terre).
La nouvelle étude suggère que l’environnement familial peut modifier radicalement la vie d’une personne, même chez les jumeaux.
Mark et Scott Kelly. (NASA)
Selon les chercheurs dans leur étude :
Contrairement aux précédentes recherches, les scores d’intelligence générale et de raisonnement non verbal des jumeaux présentaient des différences marquées. L’ajout de ces cas à la littérature psychologique permet de mieux comprendre les influences génétiques, culturelles et environnementales sur le développement humain.
Il est intéressant de noter que les deux sœurs sud-coréennes réunies présentaient des personnalités très similaires, avec des scores élevés pour les mesures de la conscience et faibles pour les mesures du neuroticisme (tendances aux émotions négatives). Leurs niveaux de satisfaction professionnelle étaient également très similaires, même si l’une travaillait comme cuisinière et l’autre comme administratrice du gouvernement. Elles présentaient également des profils de santé mentale similaires et des scores identiques aux mesures de l’estime de soi.
L’étude publiée dans la revue Personality and Individual Differences : Personality traits, mental abilities and other individual differences: Monozygotic female twins raised apart in South Korea and the United States.