Sans réduction des émissions, la toundra sibérienne devrait disparaitre d’ici 2500
Alors que les températures ne cessent d’augmenter dans le monde en raison du réchauffement climatique, les paysages se modifient en conséquence. Dans l’Arctique, les arbres avancent vers le nord, car ces températures plus élevées leur permettent de disposer de zones plus vastes. En conséquence, les toundras qui caractérisent les régions subarctiques comme la Sibérie et certaines parties de l’Amérique du Nord sont de plus en plus repoussées.
Si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas réduites de façon significative, explique une nouvelle étude, la toundra de Sibérie disparaîtra entièrement d’ici le milieu du millénaire.
Selon le professeur Ulrike Herzschuh, chef de la division des systèmes environnementaux terrestres polaires à l’Institut Alfred-Wegener pour la recherche polaire et marine (AWI/ Allemagne), et coauteur de cette étude :
Pour l’océan Arctique et la glace de mer, le réchauffement actuel et futur aura de graves conséquences.
Mais l’environnement terrestre va lui aussi changer radicalement. Les vastes étendues de toundra en Sibérie et en Amérique du Nord seront massivement réduites, car la limite des arbres, qui évolue déjà lentement, progressera rapidement vers le nord dans un avenir proche. Dans le pire des cas, il ne restera pratiquement plus de toundra au milieu du millénaire.
Arbres isolés dans la toundra près du lac Nutenvut à Keperveem, Russie. (Stefan Kruse/ Institut Alfred-Wegener)
Les températures moyennes et maximales dans l’Arctique augmentent rapidement en raison des changements climatiques causés par les émissions anthropiques (d’origines humaines). Dans le Grand Nord, territoires de l’Arctique situés au-delà du cercle polaire, les températures moyennes ont augmenté de plus de 2 °C au cours des 50 dernières années, soit bien plus que la moyenne de la Terre dans son ensemble. À moins que les émissions de gaz à effet de serre produites par l’humain ne diminuent considérablement, cette tendance se poursuivra encore longtemps.
La toundra sibérienne est un écosystème qui abrite un mélange unique de flores et de faunes, dont environ 5 % sont endémiques. Les espèces typiques sont la dryade, le pavot arctique, les saules et les bouleaux, ainsi que des espèces animales comme les rennes, les lemmings et des insectes comme le bourdon arctique. Ces écosystèmes sont soumis à la pression du changement climatique, les températures plus élevées permettant à d’autres types de paysages, notamment les forêts de mélèzes, d’empiéter sur leur territoire.
Des linaigrettes sur les rives de la partie inférieure de l’Ilerney, Russie. (Stefan Kruse/ Institut Alfred-Wegener)
Le duo de chercheurs de l’Institut Alfred Wegener a utilisé des simulations informatiques pour déterminer comment la propagation de ces forêts pourrait évoluer à l’avenir. D’après les résultats, seules des mesures de protection du climat durables et à fort impact peuvent soulager quelque peu la toundra : de tels efforts permettraient de préserver environ 30 % de la surface actuelle de cette dernière jusqu’au milieu du millénaire. Dans tous les autres scénarios simulés par l’équipe, cet écosystème a disparu dans son intégralité.
Toujours selon le professeur Ulrike :
Au cours de notre étude, nous avons simulé ce processus pour la toundra du nord-est de la Russie. La question centrale qui nous préoccupait était la suivante : quelle voie d’émissions l’humanité doit-elle suivre pour préserver la toundra en tant que refuge pour la flore et la faune, ainsi que son rôle pour les cultures des peuples autochtones et leurs liens traditionnels avec l’environnement ?
L’équipe indique que si des mesures ambitieuses de réduction des gaz à effet de serre sont prises, correspondant au scénario d’émissions RCP 2.6 des Nations unies, la poursuite du réchauffement de l’Arctique pourrait être limitée à environ 2 °C d’ici à la fin de 2100. Toutefois, si les émissions restent élevées, ce qui correspond au scénario RCP 8.5 des Nations unies, nous pourrions assister à des augmentations des températures estivales de l’Arctique allant jusqu’à 14 °C d’ici la même année.
Dans ces conditions, les forêts de mélèzes pourraient s’étendre vers le nord dans la toundra à un rythme d’environ 30 kilomètres par décennie. La toundra, qui ne peut pas se déplacer vers des régions plus froides, car elle est bloquée au nord par l’océan Arctique, verrait alors sa taille diminuer progressivement et finirait par disparaître complètement. La progression de la forêt serait initialement à la traîne par rapport aux zones qui connaissent un réchauffement accru, ajoutent-ils, car les arbres ne sont pas mobiles et leurs graines ne peuvent se propager que dans un rayon limité. Toutefois, au fil du temps, les forêts de mélèzes se répandraient dans toute la région où les températures permettraient à ces arbres de se développer.
Photo aérienne d’une forêt nordique ouverte sur la péninsule de Taymyr, en Sibérie (à proximité de la rivière Chatanga), composée de mélèzes. Dans certaines parties de cette zone, les arbres poussent en formations denses, dans d’autres, on ne voit que très peu d’arbres. (Stefan Kruse/ Institut Alfred-Wegener)
Selon la plupart des scénarios simulés par l’équipe, moins de 6 % des toundras actuelles survivraient jusqu’au milieu du millénaire. Ces régions étaient réparties en deux parcelles distantes de 2 500 kilomètres : l’une sur la péninsule de Taïmyr, en Sibérie occidentale, et l’autre sur la péninsule Tchouktche (Chukotka en anglais), à l’est. Aujourd’hui, explique l’équipe, la toundra sibérienne forme une ceinture ininterrompue de 4 000 kilomètres de long.
A partir de l’étude : la surface terrestre a été regroupée en quatre régions séparées de manière équidistante et les graphiques montrent le renforcement climatique pour les années 501-3000 de l’ère chrétienne sur la base de scénarios de trajectoires représentatives de concentration (RCP) dans ces régions aux extrémités et au milieu des lignes virtuelles. les chiffres donnent les valeurs moyennes pour le réchauffement le plus fort actuel et futur sous RCP 8.5. (Albers Equal Area/ Stefan Kruse et Ulrike Herzschuh/ eLife)
En outre, l’équipe explique que même si les températures devaient se refroidir à nouveau au cours de la seconde moitié du millénaire, les forêts de mélèzes ne disparaîtraient pas complètement des anciennes zones de toundra.
Ces recherches constituent une alerte inquiétante quant à la santé et aux perspectives d’avenir de la toundra sibérienne. Même dans le meilleur des cas, cet écosystème subira une importante réduction de sa taille et sera très probablement fragmenté en deux zones de refuge distinctes. Une telle fragmentation aurait un impact significatif sur les chances de survie de ces espèces uniques.
Ces résultats viennent s’ajouter à un nombre croissant de preuves soulignant les risques encourus si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas réduites rapidement.
L’étude publiée dans eLife : Regional opportunities for tundra conservation in the next 1000 years et présentée sur le site de l’Institut Alfred-Wegener pour la recherche polaire et marine : Siberian tundra could virtually disappear by mid-millennium.
Merci beaucoup pour cet article mais celui-ci provoque en moi un sentiment étrange…
Un peu comme si j’observais un médecin qui, après avoir annoncé à son patient qu’il souffrait d’un cancer généralisé, passait toute la consultation à lui expliquer comment il allait perdre ses cheveux.
A mon sens, dans 500 ans, si l’on suit ce scénario, l’essentiel des écosystèmes de la planète aura disparu, la Terre sera inhabitable aux humains pour l’essentiel, hors peut-être justement autour de l’Arctique où les quelques survivants auront sans doute d’autres préoccupations que de préserver la toundra (et préféreront peut-être y cultiver des céréales par exemple).
Notez que je ne dis pas que ni la toundra, ni les cheveux n’ont d’importance !