Une nouvelle et étrange phase de la matière créée par un ordinateur quantique se comporte comme si elle avait deux dimensions temporelles
Les ordinateurs quantiques promettent de révolutionner les technologies de l’information en utilisant la physique étrange de la mécanique quantique. Mais jouer avec des machines étranges et nouvelles fait souvent apparaître une physique encore plus intéressante et nouvelle. C’est précisément ce qui est arrivé à des chercheurs en informatique quantique aux États-Unis.
Image d’entête : dans cet ordinateur quantique, des physiciens ont créé une phase de matière inédite qui agit comme si le temps comportait deux dimensions. (Quantinuum)
Dans une nouvelle étude (lien plus bas) des physiciens, qui ont dirigé un laser pulsé sur des atomes à l’intérieur d’un ordinateur quantique, ont observé une toute nouvelle phase de la matière. Ce nouvel état présente deux dimensions temporelles alors qu’il n’existe qu’un seul flux temporel.
Les chercheurs pensent que cette nouvelle phase de la matière pourrait être utilisée pour développer des ordinateurs quantiques dans lesquels les informations stockées sont bien mieux protégées contre les erreurs que dans d’autres architectures.
En effet, ce qui rend les ordinateurs quantiques formidables est aussi ce qui les rend extrêmement problématiques.
Contrairement aux ordinateurs classiques, le transistor d’un ordinateur quantique est à l’échelle quantique, comme un seul atome. Cela permet de coder l’information non seulement à l’aide de zéros et de uns, mais aussi d’un mélange, ou « superposition« , de zéros et de uns.
Ainsi, les bits quantiques (ou « qubits« ) peuvent stocker des données multidimensionnelles et les ordinateurs quantiques seraient des milliers, voire des millions de fois plus rapides que les ordinateurs classiques, et fonctionneraient beaucoup plus efficacement.
Mais ce même mélange d’états 0 et 1 dans les qubits est aussi ce qui les rend extrêmement sujets aux erreurs. C’est pourquoi une grande partie de la recherche sur l’informatique quantique consiste à fabriquer des machines dont les erreurs de calcul sont réduites.
La propriété hallucinante découverte par les auteurs de cette nouvelle étude a été produite en pulsant un laser sur des atomes à l’intérieur de l’ordinateur quantique dans une séquence inspirée de la suite de Fibonacci.
Selon l’auteur principal de l’étude Philipp Dumitrescu, chercheur au Centre for Computational Quantum Physics de l’Institut Flatiron à New York, aux États-Unis :
L’utilisation d’une dimension temporelle « supplémentaire » « est une façon complètement différente de penser aux phases de la matière. Je travaille sur ces idées théoriques depuis plus de 5 ans et les voir se concrétiser dans des expériences est passionnant.
L’ordinateur quantique de l’équipe est construit sur dix ions atomiques d’ytterbium qui sont manipulés par des impulsions laser.
Selon la mécanique quantique, les superpositions s’effondrent lorsque les qubits sont influencés (intentionnellement ou non), ce qui amène le transistor quantique à « choisir » d’être dans l’état 0 ou 1. Cet « effondrement » est probabiliste et ne peut être déterminé avec certitude à l’avance.
Selon Dumitrescu :
Même si vous gardez tous les atomes sous un contrôle strict, ils peuvent perdre leur caractère quantique en parlant à leur environnement, en chauffant ou en interagissant avec des choses d’une manière que vous n’aviez pas prévue. En pratique, les dispositifs expérimentaux comportent de nombreuses sources d’erreur qui peuvent dégrader la cohérence après seulement quelques impulsions laser.
Les ingénieurs en informatique quantique tentent donc de rendre les qubits plus résistants aux effets extérieurs.
Une façon d’y parvenir est d’exploiter ce que les physiciens appellent les « symétries« , qui préservent les propriétés malgré certains changements. Par exemple, un flocon de neige présente une symétrie de rotation : il a la même apparence lorsqu’il est tourné sous un certain angle.
La symétrie temporelle peut être ajoutée en utilisant des impulsions laser rythmiques, mais l’équipe de Dumitrescu a ajouté deux symétries temporelles en utilisant des impulsions laser ordonnées mais non répétitives.
Les quasi-cristaux sont d’autres structures ordonnées mais non répétitives. Contrairement aux cristaux typiques qui ont une structure répétitive (comme les nids d’abeilles), les quasi-cristaux ont un ordre, mais pas de motif répétitif (comme le carrelage de Penrose). Les quasi-cristaux sont en fait des versions réduites, ou des « projections », d’objets de dimensions supérieures. Par exemple, un pavage de Penrose à deux dimensions est une projection d’un réseau à cinq dimensions.
Le motif du pavage de Penrose est un type de quasi-cristal, ce qui signifie qu’il possède une structure ordonnée mais jamais répétée. Le motif, composé de deux formes, est une projection en 2D d’un maillage carré en 5D. (Institut Flatiron)
Les quasi-cristaux pourraient-ils être émulés dans le temps, plutôt que dans l’espace ? C’est ce que l’équipe de Dumitrescu a réussi à faire.
Alors qu’une impulsion laser périodique alterne (A, B, A, B, A, B, etc.), les parties de l’impulsion laser quasi-périodique basée sur la séquence de Fibonacci sont la somme des deux parties précédentes (A, AB, ABA, ABAAB, ABAABABA, etc.). Comme un quasi-cristal, il s’agit d’un motif bidimensionnel coincé dans une seule dimension. Ce quasi-cristal temporel présente donc une symétrie temporelle supplémentaire.
L’équipe a envoyé la séquence d’impulsions laser de Fibonacci aux qubits situés aux deux extrémités de la structure à dix atomes.
En utilisant une impulsion laser strictement périodique, ces qubits de bord sont restés dans leur superposition pendant 1,5 seconde, un exploit impressionnant en soi étant donné les fortes interactions entre les qubits. Mais avec les impulsions quasi périodiques, les qubits sont restés quantiques pendant toute la durée de l’expérience, soit environ 5,5 secondes.
Toujours selon Dumitrescu :
Avec cette séquence quasi-périodique, il y a une évolution compliquée qui annule toutes les erreurs qui subsistent sur la bordure. Grâce à cela, le bord reste cohérent du point de vue de la mécanique quantique beaucoup, beaucoup plus longtemps que ce à quoi on pourrait s’attendre.
Bien que les résultats soient très prometteurs, la nouvelle phase de la matière doit encore être intégrée dans un ordinateur quantique fonctionnel.
Nous avons cette application directe et alléchante, mais nous devons trouver un moyen de la raccorder aux calculs. C’est un problème ouvert sur lequel nous travaillons.
L’étude publiée dans Nature : Dynamical topological phase realized in a trapped-ion quantum simulator et présentée sur le site de l’Institut Flatiron : Strange New Phase of Matter Created in Quantum Computer Acts Like It Has Two Time Dimensions.