Que le début : la fonte des glaces du Groenland a déjà entraîné une augmentation de 25 cm du niveau de la mer
Au fur et à mesure que les scientifiques affinent leurs outils et que de nouvelles données sont disponibles, notre vision des changements qui affectent notre planète devient de plus en plus claire, et ce n’est pas beau à voir. Un nouvel et remarquable exemple nous vient des glaciologues qui étudient la croissance et la perte saisonnières de la calotte glaciaire du Groenland. Ils ont conclu que même si nous arrêtions complètement de brûler des combustibles fossiles aujourd’hui, la calotte glaciaire perdrait suffisamment de masse à elle seule pour faire monter le niveau des mers de près de 30 centimètres, au minimum.
Image d’entête : partie de la calotte glaciaire se terminant dans l’océan sous forme de glacier. (Baptiste Vandecrux, GEUS)
Tout comme la calotte glaciaire du Groenland fond lorsqu’il fait chaud, les mois plus froids transforment la neige qui repose sur le sommet en glace. Dans un climat stable, ce processus se déroulerait de manière équilibrée, la masse perdue en été étant récupérée en hiver. Mais comme la planète se réchauffe en raison du changement climatique, les choses se déséquilibrent de plus en plus.
Pour comprendre comment cette fonte des glaces aura un impact sur le niveau des mers dans le monde, les scientifiques utilisent des modèles informatiques d’écoulement des glaces et d’interactions climatiques complexes. Selon les auteurs de cette nouvelle étude, cette approche présente des lacunes, car elle est imprécise et ne tient pas compte d’un certain nombre de facteurs que les scientifiques observent sur le terrain. Il s’agit notamment de l’augmentation des pluies qui accélèrent la fonte de la glace de surface, de l’afflux de courants océaniques tropicaux dans les fjords du Groenland et de l’assombrissement de la surface de la calotte glaciaire qui lui fait absorber davantage de chaleur.
Selon l’auteur de l’étude, Alun Hubbard, professeur de glaciologie à l’université de Tromsø en Norvège :
Nous observons de nombreux processus émergents que les modèles ne prennent pas en compte et qui augmentent la vulnérabilité de la calotte glaciaire.
Hubbard et ses collègues ont adopté une approche différente, qui ignore complètement les modèles informatiques. L’étude s’appuie sur deux décennies de mesures provenant de stations météorologiques, de données satellitaires sur la glace brute et la masse de surface, ainsi que sur une technique d’analyse glaciologique connue sous le nom de mise à l’échelle de la loi de puissance volume-aire.
L’équipe de glaciologues installe une station météorologique automatique sur la surface enneigée, au-dessus de la ligne de neige, pendant la saison de fonte. (The Geological Survey of Denmark and Greenland, GEUS)
L’équipe a évalué l’évolution du climat dans l’Arctique entre 2000 et 2019 et la façon dont elle contribue au déséquilibre entre les pertes et les gains de la calotte glaciaire chaque année. Pour ce faire, elle s’est concentrée sur le déplacement de la ligne de neige ou étage nival, la frontière entre les zones de la calotte glaciaire du Groenland qui sont soumises à la fonte en été et celles qui ne le sont pas. Un été particulièrement chaud peut faire monter cette ligne de neige en altitude, exposant davantage de glace aux risques de fonte, tandis qu’un hiver plus froid peut la faire redescendre.
Les scientifiques ont constaté que la calotte glaciaire du Groenland est désormais dans un tel état de déséquilibre, et qu’elle est devenue tellement inadaptée au climat de l’Arctique, qu’elle ne sera pas en mesure de maintenir sa masse. Pour que les données physiques s’additionnent, la calotte doit se corriger en perdant encore 3,3 % de son volume. Et ce, même si le monde cessait aujourd’hui de brûler des combustibles fossiles. Cela équivaut à 110 quadrillions de tonnes de glace, ce qui est suffisant pour faire monter le niveau moyen des mers du globe d’au moins 27 cm.
Ce diagramme illustre le déplacement de la ligne de neige au Groenland. (Service géologique du Danemark et du Groenland, GEUS)
Selon l’auteur principal, Jason Box, du Service national de géologie du Danemark et du Groenland :
Il s’agit d’un minimum très prudent. De façon réaliste, nous verrons ce chiffre plus que doubler au cours de ce siècle. Dans le scénario prévisible où le réchauffement de la planète ne fera que se poursuivre, la contribution de l’inlandsis groenlandais à l’élévation du niveau de la mer ne fera qu’augmenter. Si l’on prend l’année de fonte exceptionnelle de 2012 et qu’on la considère comme une moyenne hypothétique de climat constant plus tard dans le siècle, la perte de masse engagée de l’inlandsis groenlandais fait plus que doubler pour atteindre 78 cm.
Selon l’agence américaine responsable de l’étude de l’océan et de l’atmosphère (NOAA), le niveau mondial des mers s’est élevé de 21 à 24 cm depuis 1880, et le rythme de cette élévation ne fait que s’accélérer. Le fait que l’on s’attende déjà à ce que le Groenland contribue à lui seul à cette augmentation, probablement d’ici la fin du siècle selon les auteurs de l’étude, est un signe inquiétant.
L’élévation du niveau de la mer devrait entraîner une multitude de nouveaux dangers pour les communautés côtières du monde entier. Il s’agit notamment de l’érosion du littoral, des risques pour la faune et de la détérioration des infrastructures, des ponts aux appartements en bord de mer. L’élévation du niveau des eaux de fond signifierait que les ondes de tempête destructrices se propagent plus loin dans les terres, tandis que les inondations deviendraient beaucoup plus fréquentes. Selon la NOAA, les inondations dues aux marées hautes le long d’une grande partie du littoral américain sont déjà 300 à 900 % plus fréquentes qu’il y a seulement 50 ans.
Comme nous l’avons vu ce mois-ci dans une autre étude mettant en évidence le réchauffement accéléré de l’Arctique, les données satellitaires modernes continuent de révéler les effets du changement climatique. Dans ce cas, les auteurs de l’étude considèrent leur nouvelle approche comme un moyen précieux de combler les importants vides créés par une modélisation imparfaite.
Pour Box :
Les modèles de flux de glace ne sont pas prêts dans ce domaine. C’est une façon complémentaire de calculer la perte de masse qui faisait défaut.
L’étude publiée dans Nature Climate Change : Greenland ice sheet climate disequilibrium and committed sea-level rise et présentée sur le site du National Geological Survey of Denmark and Greenland : Glaciologists cut through melt uncertainty of Greenland Ice Sheet.
Du temps de l’optimum climatique, au Moyen-Âge, quand le Groenland était un « green-land », toute cette glace n’était pas sur l’île. Comment était le trait de côte à cette époque?