La plus ancienne carte du ciel nocturne se cachait sous les écrits d’un manuscrit du Moyen Âge
Des chercheurs pensaient analyser un parchemin apparemment insipide provenant d’un monastère d’Égypte, mais il s’est avéré qu’ils avaient découvert un véritable trésor. Caché sous des textes chrétiens se trouvait l’un des artefacts astronomiques les plus célèbres au monde.
Il y a plus de 2100 ans, l’astronome Hipparque de la Grèce antique a dressé un catalogue du ciel nocturne. Hipparque était également géographe et mathématicien, et il était déjà célèbre pour sa découverte de la précession des équinoxes. Son approche était remarquablement scientifique et, grâce à des techniques mathématiques acquises auprès de savants grecs et babyloniens, il a fait de nombreuses et précieuses observations. Il a même produit les premiers modèles quantitatifs et précis du mouvement du Soleil et de la Lune. Il n’est pas surprenant que, pour ses nombreuses contributions, Hipparque soit considéré par beaucoup comme le « Père de l’astronomie ».
Image d’entête : le parchemin du monastère de Sainte-Catherine étudié ici et révélant des traces d’écritures plus anciennes surlignées en jaune. (Museum of the Bible/ Nature)
Mais sa plus remarquable contribution est peut-être la compilation du premier catalogue complet d’étoiles du monde occidental.
Malheureusement, ce mythique catalogue d’étoiles d’Hipparque semblait impossible à trouver. Les érudits l’ont cherché pendant des siècles. Il a disparu pendant si longtemps que beaucoup pensaient qu’il était perdu à jamais. Mais une percée a eu lieu en 2012 lorsqu’un étudiant appelé Jamie Klair a trouvé quelque chose de bizarre derrière le lettrage d’un manuscrit chrétien.
Klair a remarqué un célèbre mythe de l’origine des étoiles en grec, souvent attribué à Eratosthène, astronome et bibliothécaire en chef de la bibliothèque d’Alexandrie. Il en a informé son superviseur, le bibliste Peter Williams. Williams a pensé que c’était intéressant, mais sans trop y réfléchir.
Quelques années plus tard, en 2017, un scan multispectral du document a révélé neuf folios (feuillets) de pages contenant un texte qui semblait avoir été écrit par-dessus.
Ce n’est pas si inhabituel : le parchemin fut, pendant des siècles, une denrée très rare, et il était courant que les morceaux de parchemin soient réutilisés. Pendant la pandémie, Williams a réexaminé les résultats. Outre un célèbre poème du troisième siècle avant J.-C., intitulé Phaenomena, qui décrit les constellations grecques et le mythe d’Eratosthène, il a remarqué une autre partie étrange. Il a donc envoyé les résultats à l’historien des sciences Victor Gysembergh, du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à Paris. Dès que Gysembergh a regardé les résultats, il a su qu’il s’agissait de quelque chose de spécial.
Selon Gysembergh :
J’ai été très enthousiaste dès le début. Il était immédiatement clair que nous avions des coordonnées d’étoiles.
Le paragraphe se lit comme suit :
Corona Borealis, située dans l’hémisphère nord, s’étend en longueur sur 9°¼ du premier degré du Scorpion à 10°¼8 dans le même signe zodiacal (c’est-à-dire dans le Scorpion). En largeur, elle s’étend sur 6°¾, de 49° du pôle Nord à 55°¾.
En son sein, l’étoile (β CrB) à l’Ouest à côté de la brillante (α CrB) mène (c’est-à-dire est la première à se lever), étant à Scorpion 0,5°. La quatrième9 étoile (ι CrB) à l’Est de l’étoile brillante (α CrB) est la dernière (c’est-à-dire qu’elle se lève) [. . .]10 à 49° du pôle Nord. La plus méridionale (δ CrB) est la troisième à compter de la brillante (α CrB) vers l’Est, qui se trouve à 55°¾ du pôle Nord.
Une reconstruction du globe céleste d’Hipparque d’après les anciennes descriptions et les données des manuscrits rédigés de sa main. (Susanne M. Hoffmann)
C’est exactement le type d’observation que l’on attend d’Hipparque. Mais ne voulant pas tirer de conclusions hâtives, les chercheurs ont calculé à quel moment de l’histoire le catalogue d’étoiles a été réalisé (cela peut être fait en calculant la précession de la Terre qui fait dériver la position des étoiles année après année). Ils ont constaté que les coordonnées des étoiles correspondent à la précession attendue de notre planète vers 129 avant J.-C., soit du vivant d’Hipparque.
Il n’y a aucun moyen d’être sûr à 100 % qu’il s’agit bien du texte d’Hipparque, mais outre la concordance de la chronologie, les chercheurs notent la précision des mesures et la manière idiosyncrasique dont certaines données sont expliquées. En gros, tout pointe vers Hipparque.
Jusqu’à présent, le plus ancien catalogue d’étoiles ayant survécu à l’Antiquité avait été compilé par un autre astronome antique : Claude Ptolémée, à Alexandrie, en Égypte (Almageste). Cependant, Ptolémée note à plusieurs reprises qu’Hipparque a compilé un précédent catalogue plus de deux siècles plus tôt, mais même ainsi, de nombreux historiens ont soupçonné que le catalogue d’Hipparque n’était peut-être qu’un mythe.
À son crédit, Ptolémée n’a pas simplement copié les mesures d’Hipparque… mais peut-être aurait-il dû. Ces dernières semblent être plus précises, parfois à un degré près. De plus, alors que Ptolémée utilisait le système de coordonnées écliptiques, Hipparque utilisait un système reposant sur l’équateur céleste, ce qui est plus courant dans les cartes stellaires modernes.
Hipparque lui-même a bénéficié des mesures précises effectuées par les Babyloniens, mais ces derniers n’avaient d’autre intérêt que d’utiliser ces observations pour leurs présages célestes et pour des choses comme les éclipses, tandis qu’Hipparque a fondamentalement fondé le domaine de l’astronomie, en transformant les observations en un modèle tridimensionnel quantifiable et prévisible.
L’étude publiée dans le Journal for the History of Astronomy : New evidence for Hipparchus’ Star Catalogue revealed by multispectral imaging et présentée sur le site de Nature : First known map of night sky found hidden in Medieval parchment.
Les babyloniens sont du moyen Orient, ils ne comptent donc dans les sciences, mais Hipparque est peut être grec…donc à peu près…européen, donc c’est lui qui compte !
Sauf que l’Europe n’existait pas à son époque…