Pour la première fois, des physiciens ont produit plus d’énergie à partir de la fusion qu’ils n’en ont utilisé
Pour le contexte, la fusion nucléaire est le processus par lequel des noyaux atomiques se combinent pour former un noyau plus lourd, libérant ainsi une grande quantité d’énergie. C’est le même processus qui alimente le soleil et d’autres étoiles.
La fusion nucléaire a le potentiel de fournir un approvisionnement presque illimité en énergie propre et sûre. Elle ne produit pas de gaz à effet de serre ni d’autres polluants/ déchets nocifs, et les matières premières utilisées, l’hydrogène et ses isotopes, sont abondantes et faciles à obtenir. En revanche, la fission nucléaire, le processus inverse de la fusion dans lequel les isotopes lourds sont séparés pour libérer de l’énergie, produit des déchets radioactifs dont il est extrêmement coûteux et difficile de se débarrasser.
Cependant, il est beaucoup plus difficile de réaliser la fusion nucléaire que la fission nucléaire. Pour lancer le processus de fusion, il faut que deux noyaux chargés positivement soient suffisamment proches l’un de l’autre pour qu’ils fusionnent. Pour surmonter la répulsion électrique mutuelle, les noyaux atomiques à l’intérieur du soleil entrent en collision les uns avec les autres à des températures très élevées, dépassant dix millions de degrés Celsius. Une fois que les noyaux ont surmonté cette répulsion et se sont rapprochés l’un de l’autre, la force nucléaire attractive entre eux l’emporte sur la répulsion électrique et leur permet de fusionner. Mais pour que cela se produise, les noyaux doivent être confinés dans un petit espace afin d’augmenter les chances de collision.
À l’intérieur du soleil, ces conditions sont assurées par l’extrême pression produite par son immense gravité. Mais comme vous pouvez l’imaginer, recréer les mêmes conditions que celles trouvées dans le soleil ici sur Terre n’est pas une mince affaire.
Cette semaine, des physiciens du National Ignition Facility au laboratoire national Lawrence Livermore (LLNL/ États-Unis) en Californie ont fait une annonce historique. Pour la première fois, des scientifiques américains ont produit plus d’énergie à partir de la fusion nucléaire que celle qu’ils ont utilisée pour alimenter le réacteur de fusion, ce que l’on appelle « seuil d’ignition » (Fusion ignition en anglais), un résultat qui a nécessité des décennies de travail. Cependant, il reste encore un long chemin à parcourir avant de parvenir à une fusion cohérente qui puisse alimenter les foyers et les industries.
Selon le directeur du LLNL, Kim Budil :
Il s’agit d’une réalisation historique… Au cours des 60 dernières années, des milliers de personnes ont contribué à cette entreprise et il a fallu une véritable vision pour en arriver là.
Selon la secrétaire américaine à l’énergie Jennifer Granholm :
La semaine dernière, au laboratoire national Lawrence Livermore , des scientifiques de la National Ignition Facility ont réalisé l’allumage par fusion. Cela consiste à créer plus d’énergie à partir des réactions de fusion que l’énergie utilisée pour démarrer le processus. C’est la première fois que cela a été fait dans un laboratoire, où que ce soit dans le monde.
C’est l’un des plus impressionnants exploits scientifiques du 21ème siècle.
L’installation pour la fusion du LLNL envoie 192 faisceaux laser de haute puissance dans une capsule de la taille d’un grain de poivre, dans laquelle sont insérés des atomes d’hydrogène.
La chambre de visée de la National Ignition Facility du LLNL, où 192 faisceaux laser ont délivré plus de 2 millions de joules d’énergie ultraviolette à une minuscule pastille de combustible pour créer l’allumage par fusion le 5 décembre 2022. (Livermore National Laboratory)
Les faisceaux laser chauffent le combustible d’hydrogène à 100 millions de degrés Celsius et le compriment à plus de 100 milliards de fois la pression de l’atmosphère terrestre, imitant ainsi les conditions que l’on trouve à l’intérieur des étoiles. Une fois un certain seuil franchi, la chaleur et la pression intenses provoquent l’implosion de la capsule et la fusion des atomes d’hydrogène.
Image d’entête : pour créer un allumage par fusion (seuil d’ignition), l’énergie laser du National Ignition Facility est convertie en rayons X à l’intérieur d’une capsule appelée hohlraum, qui comprime ensuite une capsule de combustible jusqu’à ce qu’elle implose, créant ainsi un plasma à haute température et à haute pression. (Laboratoire national Lawrence Livermore)
Les 192 lasers du National Ignition Facility se concentrent sur une minuscule capsule de combustible suspendue à l’intérieur du hohlraum (à gauche, dans le cercle). La surface alvéolée disperse la lumière parasite pour éviter d’endommager le laser. (LLNL’s National Ignition Facility)
L’expérience a dépensé 2,05 MJ (mégajoules) d’énergie et produit 3,15 MJ en sortie, soit près de 50 % d’énergie de fusion en plus de celle qui a été introduite. En d’autres termes, les scientifiques ont réussi l’allumage par fusion ou atteint le seuil d’ignition. Au début de cette année, les scientifiques britanniques ont produit près de 60 MJ d’énergie de fusion, soit près de 20 fois plus que le projet américain, mais le laboratoire britannique n’a réalisé qu’un gain net de 1 MJ.
Il s’agit véritablement d’un moment historique, mais les physiciens appellent également à un optimisme prudent. L’énergie produite par l’installation de fusion en Californie ne suffit qu’à faire bouillir quelques bouilloires. En outre, les scientifiques ont utilisé 300 MJ d’électricité pour alimenter les lasers, de sorte que, techniquement, le bilan énergétique global est encore négatif. Il reste donc encore beaucoup de chemin à parcourir avant de voir des centrales à fusion nucléaire capables d’envoyer de l’énergie au réseau électrique.
Mais ces nouveaux et impressionnants résultats montrent que des progrès sont accomplis. C’est en 1942 que des physiciens de Chicago ont fait la démonstration du premier réacteur nucléaire à fission, qui n’a fonctionné que quelques minutes lors de sa première utilisation. Il faudra encore une décennie avant que la première centrale nucléaire ne soit mise en service à Obninsk, en Union soviétique. Il faudra donc attendre quelques décennies avant que des centrales à fusion en état de marche soient mises en service, mais l’attente en vaut la peine.
Pour Kim Budil, directeur du laboratoire national Lawrence Livermore :
Les défis scientifiques et technologiques sur la voie de l’énergie de fusion sont redoutables, mais c’est en rendant possible ce qui semble impossible que nous donnons le meilleur de nous-mêmes. L’allumage est la première étape, une étape vraiment monumentale, qui ouvre la voie à une décennie de transformation de la science de la haute densité énergétique et de la recherche sur la fusion, et je suis impatient de voir où cela nous mènera.
Annoncée sur le site du Lawrence Livermore National Laboratory : National Ignition Facility achieves fusion ignition.