Découverte génétique d’une grande famille française du Néolithique
L‘analyse de l’ADN de 94 personnes enterrées sur le site néolithique « Les Noisats« , sur la commune de Gurgy, dans le nord de la France, a permis de dresser le portrait d’une communauté qui existait il y a 6 700 ans.
Deux arbres généalogiques ont été construits à partir de ces données. Le premier relie 64 individus sur sept générations, ce qui en fait la plus grande lignée reconstituée à ce jour à partir d’ADN. Le second arbre généalogique relie 12 individus sur cinq générations.
Image d’entête : l’arbre généalogique d’une des habitantes de la communauté. Les portraits peints sont une interprétation artistique des individus basée sur les traits physiques estimés à partir de l’ADN (lorsqu’il est disponible). Les carrés en pointillés (génétiquement mâle) et les cercles (génétiquement femelle) représentent les individus qui n’ont pas été trouvés sur le site ou qui n’ont pas fourni suffisamment d’ADN pour l’analyse. (Dessin d’Elena Plain/ Université de Bordeaux / PACEA)
Le Bassin parisien, en France, est connu pour ses anciens sites funéraires marqués par des monuments construits pour les « élites » de la société antique. Gurgy, en revanche, est l’un des plus grands sites funéraires néolithiques sans monument de la région. Mais qui étaient les personnes enterrées à Gurgy ?
La société néolithique (fin de l’âge de pierre) est apparue il y a environ 12 000 ans au Moyen-Orient. Les communautés de cette période de l’histoire de l’humanité ont développé l’agriculture, supplantant le mode de vie des chasseurs-cueilleurs qui dominait auparavant. Ce changement de comportement marque un tournant décisif dans l’histoire de l’humanité et il est considéré comme la dernière étape de l’évolution culturelle des humains préhistoriques.
Avec la capacité de soutenir des populations plus nombreuses et plus denses, les humains ont pu développer l’écriture, des systèmes hiérarchiques et l’architecture. Ces développements ont conduit au début de l’âge du cuivre (Chalcolithique), il y a environ 6 500 ans, qui a marqué la naissance des premières civilisations sur Terre. Les sépultures de Gurgy datent de la fin du Néolithique, après que cette forme de planification sociétale se soit répandue en Europe occidentale.
Les chercheurs ont utilisé une série de techniques pour analyser l’ancien ADN. Ils ont combiné l’analyse de l’ensemble du génome avec les valeurs du rapport isotopique du strontium, les données de l’ADN mitochondrial (lignées maternelles) et du chromosome Y (lignées paternelles), l’âge au décès et le sexe génétique pour dresser un tableau de l’ancienne communauté.
Selon Stéphane Rottier, archéo-anthropologue à l’université de Bordeaux, qui a fouillé le site entre 2004 et 2007 et coauteure de l’étude :
Depuis le début des fouilles, nous avons trouvé des preuves d’un contrôle total de l’espace funéraire et très peu de sépultures qui se chevauchent, ce qui donne l’impression que le site était géré par un groupe d’individus étroitement liés, ou du moins par des personnes qui savaient qui était enterré où.
Un homme adulte (squelette du haut) enterré il y a environ 6 000 ans dans l’actuelle France était le fils de l’homme dont descendent des dizaines de personnes également enterrées sur le site. (Stéphane Rottier)
Les données révèlent une forte lignée paternelle. L’ADN mitochondrial (de la mère) montre que la plupart des femmes de la communauté provenaient de l’extérieur de Gurgy avant d’avoir des enfants, tandis que les hommes sont restés là où ils sont nés. Les femmes originaires de l’extérieur de Gurgy n’avaient que des liens de parenté éloignés, ce qui suggère qu’elles provenaient d’un réseau de communautés voisines plutôt que d’un seul groupe.
Selon Maïté Rivollat, première auteure de l’étude :
Nous observons un grand nombre de frères et sœurs à part entière qui ont atteint l’âge de la reproduction. Si l’on ajoute à cela le nombre égal de femmes et le nombre important d’enfants décédés, cela indique des familles de grande taille, un taux de fertilité élevé et des conditions de santé et de nutrition généralement stables, ce qui est assez frappant pour une époque aussi ancienne.
On a trouvé un homme dont tous les membres de l’arbre généalogique étaient issus. Ce « père fondateur » a eu une sépulture unique sur le site. Son squelette a été enterré dans la tombe d’une femme, pour laquelle, malheureusement, aucune donnée génomique n’a pu être obtenue. Ses ossements ont donc dû être ramenés de l’endroit où il était mort à l’origine pour être réinhumés à Gurgy.
Selon Marie-France Deguilloux, de l’université de Bordeaux, coauteure de l’étude :
Il devait représenter une personne de grande importance pour les fondateurs du site de Gurgy, puisqu’il a été amené là après une première inhumation ailleurs.
Le site de Gurgy n’a été habité qu’une centaine d’années avant le départ des Néolithiques.
L’étude publiée dans Nature : Extensive pedigrees reveal the social organization of a Neolithic community et présentée sur le site de l’Université de Bordeaux : Portrait de famille au Néolithique : des arbres généalogiques aux comportements sociaux.