TDAH : Le trouble du déficit de l’attention a-t-il évolué parce qu’il favorise l’exploration ?
Si les définitions actuelles du diagnostic du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) sont relativement récentes, les cliniciens ont identifié ce trouble sous diverses appellations depuis des siècles. Des études génétiques récentes ont révélé que le trouble est fortement héréditaire, ce qui signifie que la majorité des personnes qui en sont atteintes l’ont hérité de leurs parents.
Image d’entête : les Homo sapiens se sont dispersés d’environnements en déclin en Afrique du Sud-Est vers des environnements plus favorables en Asie, peut-être motivé par des personnes prédisposées au TDHA. (AO Hong/ Académie chinoise des sciences)
Selon les critères de diagnostic, entre 2 et 16 % des enfants peuvent être classés comme souffrant de TDAH. En fait, l’augmentation des taux de diagnostic au cours des dernières années a conduit certains cliniciens à affirmer que le trouble est surdiagnostiqué. Ce qui est relativement clair, cependant, c’est que les caractéristiques comportementales qui sous-tendent le TDAH sont génétiquement présentes dans les populations humaines depuis potentiellement très longtemps. Cela a conduit certains chercheurs à se demander quels pourraient être les avantages évolutifs de ce trouble.
Imaginez que vous fassiez partie d’une tribu errante d’humains primitifs. Votre groupe tombe sur un champ rempli d’une seule sorte de fruits et tout le monde est confronté à une grande question. S’installe-t-on dans le champ et exploite-t-on les stocks de fruits jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus, ou prend-on rapidement ce que l’on peut et continue-t-on à explorer pour trouver des aliments plus variés ? Ce compromis entre exploitation et exploration est fondamental pour la survie de tous les animaux. À quel moment le risque de rester à un endroit est-il plus grand que le risque d’aller découvrir ce qu’il y a au-delà de la prochaine colline ?
Au début des années 2000, une équipe de scientifiques a entrepris d’étudier la génétique d’une tribu unique du nord du Kenya. Connue sous le nom d’Ariaal, cette population est traditionnellement très nomade. Au cours du XXe siècle, certains membres des Ariaal se sont sédentarisés et ont adopté des méthodes modernes d’agriculture, tandis que d’autres membres de la tribu ont continué à vivre comme des pasteurs nomades.
Les scientifiques ont comparé les différences génétiques et de santé entre ces deux cohortes d’Ariaal et ont découvert quelque chose d’incroyablement intéressant. D’une manière générale, toutes les personnes Ariaal étaient porteuses d’une mutation génétique unique, appelée DRD4 (récepteur de la dopamine D4)/7R. Ce trait génétique avait déjà été identifié comme courant chez les personnes souffrant de TDAH.
Chez les enfants modernes diagnostiqués avec le TDAH, la mutation génétique est généralement en corrélation avec l’agitation et la distractibilité. Chez les enfants Ariaal qui avaient adopté des comportements occidentaux sédentaires, le gène était lié à une mauvaise santé et à des comportements distraits en classe. En revanche, chez les Ariaal qui menaient encore une vie nomade traditionnelle, la mutation du gène était liée à la force et à une meilleure santé nutritionnelle.
Dan Eisenberg, responsable de l’étude, expliquait en 2008 :
L’allèle DRD4/7R a été associé à des envies plus fortes de nourriture et de drogue, à la recherche de nouveauté et à des symptômes de TDAH. Il est possible que dans un environnement nomade, un garçon porteur de cet allèle soit capable de défendre plus efficacement son bétail contre les pillards ou de localiser les sources de nourriture et d’eau, mais que ces mêmes tendances ne soient pas aussi bénéfiques dans des activités sédentaires telles que la concentration à l’école, l’agriculture ou la vente de marchandises.
C’est ainsi qu’une hypothèse fascinante a vu le jour. Les caractéristiques génétiques du TDAH pourraient-elles être quelque peu bénéfiques à une tribu en poussant certaines personnes à devenir des « explorateurs » ? Ce qui se manifeste à l’époque moderne comme une agitation pourrait en fait avoir été utile aux tribus qui cherchaient de la nourriture dans la campagne.
David Barack, de l’université de Pennsylvanie, et une équipe de collègues ont entrepris de tester cette hypothèse de manière empirique. Ils ont créé un jeu unique dans lequel les joueurs disposaient de 8 minutes pour collecter autant de baies que possible en plaçant le pointeur de la souris au-dessus d’un buisson. Chaque fois qu’il récoltait le même buisson, la quantité du joueur diminuait légèrement, mais s’il se déplaçait vers un nouveau buisson, il subissait une pénalité en termes de temps. Que feraient donc la plupart des joueurs ? S’en tenir au même buisson fiable qui fournit des baies ? Ou risquer de perdre du temps en essayant un autre buisson pour voir s’il contient plus de fruits ? Explorer ou exploiter ?
Environ 450 personnes ont participé à l’expérience, et toutes ont été simultanément soumises à un dépistage des symptômes du TDAH. Sans surprise, les chercheurs ont constaté que les personnes présentant les scores les plus élevés de TDAH se tournaient vers de nouveaux arbustes plus tôt que les autres, mais surtout que les personnes atteintes de TDAH avaient également tendance à récolter des quantités plus importantes de baies dans l’ensemble.
Dans l’étude récemment publiée, Barack et ses collègues ont noté que les participants ne présentant pas les caractéristiques du TDAH avaient tendance à sur-récolter les parcelles individuelles. En examinant la stratégie de récolte optimale pour le jeu, ils ont découvert que les joueurs ayant un score élevé de TDAH réussissaient mieux dans l’ensemble.
Les chercheurs de conclure :
En outre, nous avons découvert que les participants dont le dépistage du TDAH était positif abandonnaient plus facilement les parcelles et obtenaient des taux de récompense plus élevés que les participants dont le dépistage était négatif. Étant donné que l’ensemble des participants s’attardent trop, ceux qui ont un score ASRS (liste des symptômes pour l’échelle d’auto-évaluation du TDAH chez l’adulte) élevé prennent des décisions exploratoires qui correspondent mieux aux prévisions de la théorie du butinage optimal et, en ce sens, se comportent de manière plus optimale.
Ces résultats ne constituent en aucun cas une conclusion définitive sur les éventuels avantages évolutifs du TDAH. Mais elles offrent une raison convaincante et plausible pour laquelle un petit pourcentage d’humains continue à porter ces traits. Au XXIe siècle, nous avons peut-être “pathologisé” le TDAH en le considérant comme un trouble négatif, mais c’est peut-être simplement parce que ces caractéristiques ne conviennent pas au monde que nous avons construit. Dans un contexte différent, il est possible qu’une personne atteinte de TDAH soit le sauveur d’une tribu en explorant sans cesse de nouveaux pâturages.
L’étude publiée dans Proceedings of the Royal Society B : Attention deficits linked with proclivity to explore while foraging.