Les abeilles sont altruistes et elles tiennent ce trait de leur mère
Les motivations qui sous-tendent le comportement altruiste chez les humains peuvent différer de celles des animaux. Toutefois, cela ne signifie pas que les animaux ne peuvent pas être altruistes. En biologie évolutive, le comportement d’un animal est considéré comme altruiste lorsqu’il profite à d’autres individus, même au détriment de l’altruiste lui-même. Les espèces dotées de structures sociales complexes, comme les abeilles, en sont un bon exemple.
(Image d’entête par Sean Bresnahan/ Université d’État de Pennsylvanie)
Des chercheurs de l’université d’État de Pennsylvanie, aux Etats-Unis, ont étudié la génétique à l’origine du comportement de “retinue” (alimentation et toilettage de la reine) chez les abeilles ouvrières, qui sont toujours des femelles. Après avoir été exposées à la phéromone mandibulaire de la reine, les abeilles ouvrières ont des ovaires inactifs. Ces abeilles contribuent alors à la diffusion de la phéromone et s’occupent de la reine et de ses nouveaux œufs.
Ce comportement est altruiste, affirment les chercheurs dans leur étude publiée la semaine dernière (lien plus bas), car il favorise la capacité de l’abeille à produire une descendance, tandis que l’abeille ouvrière reste stérile. Les abeilles mellifères vivent en colonies et la reine est généralement la mère de tous les membres de la ruche. Les abeilles ouvrières butinent et protègent la ruche.
Dans leur étude, les chercheurs ont également découvert que les gènes qui rendent les abeilles ouvrières plus réceptives à cette phéromone et plus susceptibles d’adopter le comportement de retinue peuvent être transmis par la mère ou le père de l’abeille. Cependant, les gènes ne conduisent à un comportement altruiste que lorsqu’ils sont transmis par la mère.
Selon Sean Bresnahan, de l’université d’État de Pennsylvanie et auteur correspondant de l’étude :
Les gens pensent souvent que les différents phénotypes sont le résultat de différences dans les séquences de gènes ou dans l’environnement. Mais cette étude montre qu’il ne s’agit pas seulement de différences dans le gène lui-même, mais aussi dans le parent dont le gène est hérité.
Christina Grozinger, coauteure de l’étude, a déclaré que les résultats soutiennent également la théorie (parentale) du conflit intragénomique, qui suggère que les gènes des mères et des pères sont en conflit concernant le comportement à soutenir (voir Gène soumis à empreinte). Selon elle, cette étude est la première à montrer que les gènes des femelles transmettent un comportement altruiste à leur progéniture.
Selon Grozinger, également chercheuse à l’université d’État de Pennsylvanie :
Cette étude révèle une forme très subtile et inattendue de contrôle génétique de ces comportements. Avec notre système, nous constatons que les gènes de la mère, la reine, soutiennent le comportement altruiste de sa progéniture, ce qui entraîne un plus grand nombre de copies de ses gènes dans la population.
Dans leur étude, les chercheurs ont croisé six lignées différentes d’abeilles mellifères, ce qui, explique Bresnahan, est relativement facile chez les mammifères ou les plantes, mais beaucoup plus difficile chez les insectes. Une fois les abeilles croisées et la progéniture suffisamment âgée, l’équipe a examiné la réaction des abeilles ouvrières à la phéromone qui déclenche le comportement de retinue.
Ils ont utilisé le séquençage de l’ARN pour étudier l’expression à l’échelle du génome des ouvrières et ils ont séquencé les génomes des parents de ces croisements. Cela leur a permis de développer des génomes personnalisés des parents et de retracer l’expression des gènes des ouvrières pour chaque parent afin de découvrir quelle copie de ce gène était exprimée par le parent en question.
Pour visualiser ce conflit au sein du génome, les chercheurs ont utilisé différentes techniques, telles que l’apprentissage automatique, pour examiner les réseaux de régulation génique ou les groupes de gènes régulés par des facteurs de transcription similaires (les protéines qui peuvent activer et désactiver les gènes) pour produire des schémas d’expression similaires.
Ils ont examiné les relations entre les gènes et les facteurs de transcription exprimés par la copie de la mère et par la copie du père afin d’identifier les endroits où l’un pourrait essayer de contrecarrer les effets de l’autre. En fin de compte, les chercheurs ont identifié des réseaux de régulation génétique présentant un conflit intragénomique, et ils ont constaté qu’un plus grand nombre de gènes étaient exprimés avec un biais paternel.
Toujours selon Grozinger :
Le fait qu’il s’agisse du troisième comportement pour lequel nous avons trouvé des preuves que le conflit intragénomique contribue à la variation chez les abeilles mellifères suggère que le conflit intragénomique pourrait façonner de nombreux types de traits chez les abeilles et d’autres espèces. Nous espérons que nos recherches serviront de cadre et d’inspiration à d’autres.
L’étude publiée dans la revue Molecular Ecology : Beyond conflict: Kinship theory of intragenomic conflict predicts individual variation in altruistic behaviour et présentée sur le site de l’université d’État de Pennsylvanie : Honey bees may inherit altruistic behavior from their mothers.