Une audition ultra-sensible permet à cette araignée de jeter son filet sur des proies sans méfiance

Les araignées Dinopsis spinosa, ou “à face d’ogre” en anglais (Ogre-faced spider) ont de grands yeux qui leur permettent une incroyable vision nocturne pour chasser leurs proies dans l’obscurité avec leurs filets de soie. Il semble que ces prédateurs habiles aient encore un autre atout dans leurs huit pattes : une ouïe très sensible.

Bien qu’elles n’aient pas d’oreilles, ces araignées ont de minuscules poils et des récepteurs sur leurs pattes qui sont assez sensibles pour capter les sons à une distance d’au moins 2 mètres, selon des chercheurs de l’université Cornell (États-Unis).

Ces prédatrices nocturnes en forme de bâton font partie de la famille des araignées à filet. Au lieu d’attendre passivement que leur proie tombe dans une toile permanente qu’elles ont tissée plus tôt, ces araignées et autres Dinopsis lancent un filet de forme rectangulaire sur des victimes sans méfiance qui passent, un peu comme des gladiateurs.

La posture inversée que prennent les araignées à tête d’ogre lorsqu’elles attendent une proie.(Sydney/ NSW)

Afin de prendre au piège leur proie, elles sont aidées par leurs grands yeux. Mais en plus d’une vision nocturne très fine, ces araignées effectuent également des frappes en arrière très élaborées pour attraper leurs proies, ce qui suggère qu’elles possèdent un autre sens arachnéen sophistiqué.

A partir de l’étude : le comportement de frappe à reculons des araignées dinopis. (Jay A. Stafstrom et Col./ Current Biology)

Auparavant, Jay Stafstrom, premier auteur de la nouvelle étude et ses collègues de l’université Cornell bandaient les yeux d’araignées Dinopsis spinosa en plaçant du silicone dentaire sur leurs yeux. Aveugles, elles n’étaient pas capables d’attraper des proies au sol, mais elles pouvaient toujours chasser des insectes depuis les airs. Cela montre bien qu’elles utilisaient d’autres systèmes sensoriels que la vision pour chasser.

Pour leur nouvelle étude, les chercheurs ont observé les réactions des araignées à différents sons en mesurant leur réponse neurale à l’aide de minuscules électrodes placées dans le cerveau et les pattes des araignées. Ils ont découvert que ces dernières pouvaient percevoir des vibrations dans l’air allant jusqu’à 10 kHz, soit une fréquence bien plus élevée que les sons produits par les insectes qui marchent ou volent.

Stafstrom affirme qu’il est difficile de comparer l’ouïe de cette araignée à celle d’autres animaux, mais il trouve « impressionnant qu’elles puissent entendre aussi bien, au moins en termes de vitesse et de direction », il ajoute :

Si l’on considère le fait d’essayer d’attraper un insecte alors qu’il passe devant vous, dans l’obscurité presque totale (comme ils le font la nuit), l’acte d’attraper quelque chose avec un petit filet semble assez difficile. Nous pensons que l’ouïe est assez répandue chez les autres araignées, mais nous n’avons pas pu mener l’étude comparative appropriée pour vraiment étudier l’ampleur de ce phénomène. Les deux types de capteurs qui détectent les sons chez les araignées (les poils longs et les organes métatarsiens) sont utilisés par la plupart des araignées, sinon toutes.

(Jay Stafstrom)

Comme les araignées n’auraient besoin de détecter que les sons de basse fréquence pour attraper leurs proies, les chercheurs pensent que leur capacité à détecter des fréquences beaucoup plus élevées pourrait les aider à rester vigilantes face aux signes de leurs propres prédateurs.

Selon l’auteur principal Ron Hoy, professeur de neurobiologie et de comportement à l’université Cornell :

Si vous donnez à un animal un stimulus menaçant, nous connaissons tous la réaction de combat ou de fuite (Fight or Flight). Les invertébrés ont cela aussi, mais l’autre « F » est « Freeze »(figer). C’est ce que font ces araignées. Elles sont dans une posture cryptique. Leur système nerveux est dans un état de sommeil. Mais dès qu’elles captent un stimulus important, boom, cela active le système neuromusculaire. C’est un système d’attention sélective.

À l’avenir, les chercheurs souhaitent savoir si les araignées ont aussi une audition directionnelle, c’est-à-dire si elles peuvent dire d’où viennent les sons. Cela expliquerait leur impressionnante chorégraphie pendant la chasse et pourrait inspirer une nouvelle génération de microphones.

Selon Stafstrom :

Ces araignées ont évolué pendant des millions d’années pour être vraiment douées pour attraper des choses avec ce filet, et les systèmes sensoriels qu’elles possèdent sont parfaits pour leur permettre de le faire. Comme elles s’adaptent depuis si longtemps pour détecter aussi bien les informations visuelles que les informations auditives, il serait bénéfique, en tant qu’humains, de mieux comprendre comment elles le font. Si nous pouvions vraiment comprendre comment elles détectent et traitent les informations environnementales, nous aurions certainement des connaissances précieuses qui pourraient être appliquées à la création de biocapteurs plus sensibles/précis (comme les microphones) par des moyens que nous n’avons jamais imaginés auparavant. La capacité de ces araignées à détecter la composante directionnelle d’un son est ce qui nous intéresse le plus ensuite. Nous pensons que ces araignées sont très douées pour déterminer l’emplacement d’une source sonore et nous voulons comprendre exactement à quel point elles sont douées pour cela.

L’étude publiée dans Current Biology : Ogre-Faced, Net-Casting Spiders Use Auditory Cues to Detect Airborne Prey et présentée sur le site de l’université Cornell : Buzz kill: Spiders ‘hear’ airborne prey via their legs.