Ig Nobel : les grands gagnants 2021 de la Science qui fait d’abord rire et ensuite réfléchir
Depuis 31 ans, les Annals of Improbable Research décernent les délicieux prix Ig Nobel, qui récompensent les » avancées scientifiques qui font d’abord rire et ensuite réfléchir « .
Des études scientifiques portant, par exemple, sur les effets de l’orgasme en tant que décongestionnant nasal, les avantages du transport des rhinocéros à l’envers et sur la capacité de la barbe à atténuer un coup de poing au visage figuraient parmi les lauréats de cette année de l’une des récompenses les plus prisées du monde scientifique… Ils ne sont peut-être pas aussi célèbres et lucratifs que les « vrais » Nobels, mais nous les attendons tous avec impatience chaque année.
Cette année, la cérémonie (vidéo en fin d’article) s’est déroulée en ligne plutôt que dans l’auditorium habituel de l’université Harvard (États-Unis), en raison des restrictions entrainées par la Covid-19. De véritables lauréats du prix Nobel ont remis les dix Ig Nobels à des scientifiques, des économistes, des médecins et des mathématiciens de 24 pays, qui ont reçu un trophée en papier à assembler eux-mêmes et un faux billet de 10 000 milliards de dollars du Zimbabwe.
Tout cela est conforme à la nature de la cérémonie vraiment farfelue et décalée. Le magazine d’humour scientifique Annals of Improbable Research, qui organise la cérémonie de remise des prix chaque année en septembre, affirme que les récompenses célèbrent « l’insolite, honorent l’imagination et stimulent l’intérêt des gens pour la science ».
Voici la liste des gagnants, avec davantage de détails pour les 5-6 premiers :
1. Rien ne vaut une bonne partie de jambes en l’air pour se déboucher les narines
Le prix de la médecine a été remporté par une équipe allemande et britannique, dont l’étude suggère qu’un orgasme peut être un décongestionnant nasal efficace.
Comment, me direz-vous, réaliser une telle étude ?
L’auteur principal, Cem Bulut, professeur à la clinique SLK de Heilbronn en Allemagne, a recruté quelques collègues pour mener l’enquête. Chacun des 18 couples hétérosexuels a utilisé un appareil permettant de mesurer le débit d’air dans le nez avant le rapport sexuel, immédiatement après l’orgasme, puis 30 minutes, 1 heure et 5 heures après.
Les résultats ont confirmé ce que Bulut avait soupçonné.
Selon les chercheurs dans leur étude :
La respiration nasale s’est améliorée de manière significative après un rapport sexuel avec orgasme, au même degré qu’après l’application d’un décongestionnant nasal pendant 60 minutes.
Cependant, la respiration nasale est revenue au niveau de base 3 heures après le rapport sexuel, alors qu’elle a continué à être améliorée plus longtemps après l’application du décongestionnant nasal.
Mais, pour l’instant, le mécanisme par lequel les rapports sexuels dégagent le nez n’est toujours pas clairement défini. Il faudra encore beaucoup, beaucoup de tests…
L’étude publiée dans le Ear, Nose & Throat Journal : Can Sex Improve Nasal Function?—An Exploration of the Link Between Sex and Nasal Function.
2.Comment bien hélitreuiller un rhinocéros ?
Le vétérinaire spécialiste de la faune sauvage Robin Radcliffe, de l’université Cornell (États-Unis), a remporté le prix de la recherche sur les transports pour son étude visant à déterminer si la santé des rhinocéros était compromise lorsqu’ils suspendaient leurs pattes sous un hélicoptère. Cette méthode est utilisée depuis des années en Afrique pour déplacer les rhinocéros entre des zones d’habitat dispersé.
Personne n’avait vérifié si le cœur et les poumons des animaux pouvaient supporter le vol la tête en bas, c’est ce que Radcliffe et son équipe ont fait. Et il s’avère que les animaux s’en sont très bien sortis. Ils ont suspendu un groupe de rhinocéros tranquillisés à une grue et mesuré leurs réactions.
Les résultats ont montré que les rhinocéros s’en sortaient très bien, en fait même mieux que lorsqu’ils étaient couchés sur le ventre ou sur le côté. Selon Radcliffe, cela est dû à une meilleure répartition du flux sanguin lorsque les rhinocéros sont suspendus à l’envers, comme dans l’expérience.
(Namibian Ministry of Environment)
Les chercheurs concluent dans leur étude :
Ces expériences suggèrent que le système pulmonaire des rhinocéros noirs immobilisés n’est pas plus compromis par la suspension par les pieds pendant 10 minutes que par le couchage en décubitus latéral.
L’étude publiée dans le Journal of Wildlife Diseases : The pulmonary and metabolic effects of suspension by the feet compared with lateral recumbency in immobilized black rhinoceroses(Diceros Bicornis) captured by aerial darting et présentée sur le site de l’Université Cornell : Hang tight, rhino: airlifting endangered creatures safer than expected.
3. La barbe était-elle destinée à protéger des coups de poing ?
Un trio de chercheurs américains spécialisés dans la barbe a formulé une hypothèse plutôt étrange : les humains ont développé la barbe pour protéger leur visage.
Selon l’équipe de recherche, de l’Université d’Utah, dans leur étude (lien plus bas) :
Parce que les poils du visage sont l’une des caractéristiques les plus sexuellement dimorphiques des humains et sont souvent perçus comme un indicateur de la masculinité et de la domination sociale, il a été suggéré que les poils du visage humain jouent un rôle dans la compétition masculine.
Nous avons émis l’hypothèse que la barbe protège la peau et les os du visage lorsque les mâles humains se battent en absorbant et en dispersant l’énergie d’un impact brutal.
Pour tester cela, ils ont utilisé un modèle de tissu osseux humain, l’ont recouvert de différentes épaisseurs de peau de mouton, et ils ont laissé tomber dessus 20 échantillons de poids différents à partir de différentes hauteurs.
Le dispositif expérimental. (Ethan Beseris, Steven Naleway et David Carrier)
Le résultat ? La peau velue absorbe davantage la force d’un impact, ce qui donne un peu plus de crédit à la théorie selon laquelle la barbe a évolué pour prévenir les blessures, les coupures ou les contusions.
Comme il se doit, ce projet de recherche a reçu le prix Ig Nobel de la paix.
L’étude publiée dans Integrative Organismal Biology : Impact Protection Potentiel of Mammalian Hair: Testing the Pugilism Hypothesis for the Evolution of Human Facial Hair et présentée sur le site de l’Université d’Utah : U researchers receive Ig Nobel Peace Prize for study of beards as punch protection.
4. Science médico-légale avec chewing-gum
Si vous avez déjà marché sur ou touché accidentellement un chewing-gum usagé, vous avez probablement réagi avec dégoût, et pour cause. Nos bouches contiennent de nombreux types de bactéries et on ne sait jamais où la bouche d’une autre personne est passée.
Mais une étude a tenté de le découvrir. Le prix d’écologie a été décerné à des chercheurs qui ont utilisé l’analyse génétique pour déterminer quelles espèces de bactéries vivaient dans les chewing-gums laissés sur le trottoir dans cinq pays différents.
Leila Satari et ses collègues de l’université de Valence, en Espagne, ont recueilli dix échantillons de chewing-gums provenant de France, de Grèce, d’Espagne, de Turquie et de Singapour, les ont congelés et réduits en poudre pour les analyser.
Ils étaient particulièrement intéressés par l’évolution des bactéries avec le temps. Lorsque le chewing-gum est collé pour la première fois sur le trottoir, il contient essentiellement des bactéries buccales, mais celles-ci sont remplacées au fil du temps par des bactéries provenant de l’environnement.
Cependant, les bactéries buccales sont restées en place pendant une étonnamment longue période, indique l’équipe dans son étude.
A partir de l’étude : profils taxonomiques d’échantillons de chewing-gum usagés collectés en extérieur dans cinq pays. Les taxons les plus abondants de chaque endroit sont présentés dans des diagrammes circulaires. (Leila Satari et col./ Scientific Reports)
Comment ont-ils su cela ? Eh bien, ils ont mâché 13 échantillons de chewing-gum, les ont collés sur des trottoirs en extérieur et les ont contrôlés pendant 12 semaines.
Selon les chercheurs :
Nos résultats ont des implications dans des domaines tels que la criminologie, le contrôle des maladies contagieuses, la gestion des déchets et la biorémédiation.
L’étude publiée dans Scientific Reports : The wasted chewing gum bacteriome.
5. Pourquoi les piétons s’évitent-ils… ou pas
Le Guru se permet de regrouper deux études tout aussi intéressantes sur la physique de la circulation piétonne et qui ont été récompensées.
Le prix de physique a été attribué à une recherche qui explique pourquoi les piétons ne se heurtent pas constamment les uns aux autres, en utilisant des modèles pour étudier les interactions entre les personnes marchant dans une foule.
Selon les chercheurs dirigés par Alessandro Corbetta de l’Université de Technologie des Pays-Bas :
Lorsqu’ils sont en mouvement, les piétons adaptent leur trajectoire en essayant de préserver les distances de confort mutuel et d’éviter les collisions.
L’étude disponible en prépublication dans arXiv : Physics-based modeling and data representation of pedestrian pairwise interactions.
L’étude qui a remporté le prix de la cinétique, en revanche, s’est penchée sur les raisons pour lesquelles les piétons se rentrent parfois dedans. L’équipe dirigée par Hisashi Murakami, de l’Université de Tokyo au Japon, soutient que l’anticipation est en grande partie responsable de cette situation : les piétons ne se déplacent pas seulement en fonction de l’endroit où se trouvent les autres, mais aussi en fonction de l’endroit où ils pensent que les autres se trouveront bientôt.
Ils ont mené une expérience au cours de laquelle ils ont demandé à certains piétons de marcher en utilisant leur téléphone, et à d’autres sans, pour voir si la distraction interférait avec leur capacité à anticiper et à réagir aux mouvements de leurs voisins.
A partir de l’étude : Image de l’expérience dans la condition frontale (les piétons distraits sont situés à l’avant du groupe), où les emplacements des piétons distraits sont marqués par des cercles bleus. (Hisashi Murakami et col./ Science Advances)
Selon les chercheurs :
Tant les piétons distraits que ceux qui ne l’étaient pas ont eu des difficultés à éviter les collisions tout en se déplaçant, bien que la distraction ait ralenti la vitesse de marche.
Ces résultats impliquent que les manœuvres d’évitement sont normalement un processus coopératif et que l’anticipation mutuelle entre les piétons facilite la formation efficace de modèles.
L’étude publiée dans Science Advances : Mutual anticipation can contribute to self-organization in human crowds.
Le prix d’entomologie a été attribué à John Mulrennan du Navy Disease Vector Ecology and Control Center (Etats-Unis), qui a réussi à éradiquer des cafards dans des sous-marins à l’aide d’un insecticide organophosphoré. L’étude publiée dans le Journal of Economic Entomology : A New Method of Cockroach Control on Submarines.
Le prix de biologie a été attribué à Dusanne Shotz, de l’université de Lund en Suède, qui a analysé les variations dans les ronronnements, les miaulements et autres vocalisations des chats domestiques.
Le prix de chimie a été attribué Jörg Wicker et son équipe, pour l’analyse chimique de l’air à l’intérieur des salles de cinéma, afin de vérifier si les odeurs produites par un public indiquent de manière fiable les niveaux de violence, de sexe, de comportement antisocial, de consommation de drogues et de langage grossier dans le film que le public regarde. Deux études, dans PLoS ONE : Cinema Data Mining: The Smell of Fear et dans The Proceedings of the 21th ACM SIGKDD : Cinema Data Mining: The Smell of Fear.
La vidéo de la 31e cérémonie (virtuelle) des Ig Nobel :
La liste des gagnants sur le site d’Improbable Research : Announcing the 2021 Ig Nobel Prize winners.
Pour découvrir les gagnants de l’année 2020, c’est par ici.