Les souris domestiques cohabitent avec l’humain depuis 15 000 ans
Bien avant l’avènement de l’agriculture, les chasseurs-cueilleurs ont commencé à s’installer au Moyen-Orient, à construire des maisons plus permanentes et à modifier l’équilibre écologique permettant à la souris commune (domestique) de s’épanouir
Pendant des décennies, les scientifiques ont supposé que les souris sauvages sont entrées en contact avec les humains seulement après l’introduction de l’agriculture, quand elles ont commencé à pouvoir profiter des cultures cultivées et stockées. Une nouvelle étude conteste cette idée, montrant que les souris sauvages ont commencé à faire des habitats humains leur demeure dès le moment où les chasseurs-cueilleurs ont commencé à s’installer et à construire des structures permanentes.
Les preuves recueillies par des chercheurs de l’université de Washington à Saint-Louis et de l’université de Haïfa en Israël laissent entendre que tout cela remonte à 15 000 ans, dans la région du Levant, juste à l’est de la Méditerranée, soit environ 3 000 ans avant l’avènement de l’agriculture. C’est à cette époque que les Natoufiens passent de chasseurs-cueilleurs à un mode de vie sédentaire et semi-sédentaire, une transition qui a nécessité la construction de logements permanents. Ce développement a attiré au moins deux espèces de souris sauvages, déclenchant une guerre de territoire qui a duré pendant des siècles. Finalement, la souris que nous reconnaissons aujourd’hui comme la souris domestique ou commune (Mus musculus domesticus), a surpassé sa rivale, la souris de Macédoine (Mus macedonicus) à queue courte.
Pour parvenir à ces conclusions, les chercheurs ont utilisé une nouvelle technique appelée morphométrie géométrique pour identifier les fossiles de souris trouvés dans la région du Levant. Cette méthode repose sur l’imagerie haute résolution et l’analyse numérique, permettant aux chercheurs de distinguer de petits détails dans les minuscules restes de la souris commune et d’autres espèces de souris sauvages. En outre, les chercheurs ont effectué la datation par radiocarbone des fossiles trouvés sur 5 sites différents en Israël, qui s’étendent entre 200 000 et 10 200 ans et ils ont visité des villages Maasaï dans le sud du Kenya et en Tanzanie. En étudiant ces personnes semi-nomades, les chercheurs ont pu reculer dans le temps et avoir une idée de ce qu’était la vie il y a des milliers d’années.
Les fermes temporaires des Maasaï, comme celle du sud du Kenya, ont relativement peu d’impact à long terme sur l’environnement. (Lior Weissbrod)
Les souris ont commencé à apparaître en tant que lignée distincte quelque part entre l’Iran et l’Inde, au cours des 100 000 dernières années. Ces rongeurs avaient une vie “honnête”, en fouillant le paysage pour y trouver des céréales, des fruits et des graines. À l’époque, l’espèce qui deviendrait éventuellement la souris commune était probablement extrêmement rare, étant confrontée à des espèces rivales et à leurs prédateurs. L’introduction des campements humains, il y a 15 000 ans, a considérablement modifié le paysage pour ces souris au grand sens de l’adaptation.
A l’époque, elles n’étaient pas vraiment encore considérées comme nuisibles, ce n’est qu’à partir de l’avènement de l’agriculture que la souris domestique s’est transformée en un véritable ravageur. Ainsi, les villageois maasaï non agricole regardent leurs souris avec indifférence.
Lorsque les Natoufiens ont quitté leur vie de chasseur-cueilleur, leurs premières colonies dans le Levant ont probablement repoussé beaucoup d’espèces, mais les plus adaptables, comme les souris, bénéficiaient d’un accès constant et plus sûr à de la nourriture et à un logement. Les aliments pour les souris incluaient probablement des graines sauvages recueillies par les humains et stockés dans les colonies, ainsi que l’accumulation de déchets organiques et éventuellement le développement de plantes dans ceux-ci, selon Weissbrod. Ces anciennes souris sont restées inoffensives jusqu’au développement de l’agriculture.
Mais, comme le souligne la nouvelle recherche, l’obtention de son statut de souris domestique ne fut pas facile. Le peuple natoufien était semi-nomade, se relocalisant souvent après quelques années. Leurs réinstallations auraient dispersé les souris dans la nature. Qui plus est, les anciennes souris domestiques ont dû rivaliser avec celles « sauvages » à queue courte pour maintenir leur territoire. Au fil du temps, la souris domestique a réussi à survivre à ces difficultés.
Au cours de la phase finale de la culture Natoufien, juste avant la période néolithique et le début de l’agriculture, les souris domestiques représentaient 80 % de la population de souris, les 20 % restants étant les sauvages.
Selon Weissbrod :
Nous nous trouvons ici avec deux espèces différentes, mais étroitement apparentées, appartenant au même genre et avec des écologies largement similaires. Nous pouvons spéculer qu’avec des queues plus longues, les souris étaient plus agiles et capables de s’échapper ou de naviguer dans un environnement humain à fort trafic. En outre, sur le plan du comportement, nous pouvons spéculer que les souris domestiques étaient mieux en mesure de faire face physiologiquement à des niveaux accrus de stress dans l’environnement humain. Probablement, leurs habitudes alimentaires étaient plus souples, leur permettant de s’adapter à n’importe quel type de nourriture involontairement mis à disposition par les humains.
Fait important, des modèles similaires impliquant différentes espèces de souris ont été découverts dans les villages Maasai modernes en Afrique de l’Est. Là, les souris rivales divisent leur territoire dans un processus connu sous le nom de “répartition de l’habitat”, dans lequel les souris domestiques utilisent principalement les colonies et les sauvages utilisent des milieux plus naturels.
Avec la montée de l’agriculture, les grandes villes et nos déplacements à travers le globe, les populations de souris ont commencé à se propager encore plus loin.
Selon Weissbrod :
Elles ont commencé à se propager du Levant avec les sociétés néolithiques vers l’Europe, dans un processus qui a pris des milliers d’années. Les souris migratrices domestiques ont dû surmonter de nombreux obstacles, y compris les différents climats et les nouvelles espèces locales avec lesquelles elles ont dû rivaliser. De l’Europe, les souris se sont répandues avec les humains pour coloniser de nouveaux continents dans l’histoire plus récente.
Aujourd’hui, les souris sont encore l’une des espèces les plus adaptables sur Terre. Nous les avons maintenant domestiquées comme animaux de laboratoire dans la recherche biomédicale et même en tant qu’animaux de compagnie.
L’étude publiée dans PNAS : Origins of house mice in ecological niches created by settled hunter-gatherers in the Levant 15,000 y ago.