La découverte d’un ancien cimetière monumental prouverait qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un chef pour construire de grands édifices
Une équipe internationale de chercheurs a découvert le plus ancien cimetière monumental et le plus grand de toute l’Afrique de l’Est. Baptisé Lothagam North Pillar Site, il a été construit il y a plus de 5 000 ans. La partie la plus surprenante ? Ses bâtisseurs étaient de simples bergers vivant autour du lac Turkana, au Kenya. Les chercheurs estiment qu’ils avaient un mode de pensée égalitaire, rejetant toute hiérarchisation sociale.
Image d’entête : vue sur le Lothagam North Pillar, construit par les premiers éleveurs d’Afrique de l’Est il y a environ 5000-4300 ans. Des mégalithes, des cercles de pierre et des tumulus peuvent être vus derrière le monticule de la plateforme de 30 m de diamètre. (Katherine Grillo)
Le lieu du site. (Elisabeth A. Hildebrand et col./ PNAS)
Cette découverte contredit l’opinion selon laquelle une société hiérarchisée, divisée entre dirigeants et dirigés, est nécessaire pour construire de grands édifices ou monuments publics.
Le site représente un cimetière communal construit et utilisé sur une période de plusieurs siècles (entre 5 000 et 4 300 ans environ). Il se compose d’une plate-forme ronde d’environ 30 mètres de diamètre, au centre de laquelle les premiers éleveurs ont creusé une grande cavité pour y enterrer leurs morts. Après avoir rempli cette cavité, ils l’ont recouverte de pierres et ont placé des piliers mégalithiques sur le dessus. Ces piliers provenaient de sources situées jusqu’à un kilomètre de distance.
L’équipe estime qu’un minimum de 580 individus ont été « enterrés de manière dense » dans cette cavité centrale. Il ne semble pas y avoir de personne en particulier à avoir reçu un traitement particulier, des gens de tous âges, des nourrissons aux personnes âgées, y ont été enterrés. Tous les individus ont été enterrés avec des ornements personnels, mais aucun ne se distingue comme étant plus pauvre ou plus riche que ses pairs. En fait, la distribution des ornements est surprenante même dans l’ensemble du cimetière, ce que l’équipe considère comme un indicateur d’une société relativement égalitaire sans stratification sociale forte.
Pendentifs en pierre et boucles d’oreilles du cimetière communal de Lothagam North, Kenya. (Carla Klehm)
Au fil du temps, des cercles de pierre et des tumulus ont été érigés sur le site.
Compte tenu des efforts et des ressources nécessaires à la construction de grandes structures, ainsi que des obstacles logistiques associés à l’organisation de l’ensemble, les archéologues ont simplement pris pour acquis qu’un groupe a besoin d’une structure politique pour pouvoir entreprendre de tels projets. Il y a aussi le fait que les rôles joués par ces bâtiments, qui rappellent une histoire, une culture, une religion ou des idées communes, sont révélateurs d’une société sédentaire, socialement hiérarchisée, dotée de ressources abondantes et d’un leadership fort.
Pris ensemble, cela a amené les archéologues à considérer les anciens monuments comme des indicateurs précis de sociétés complexes permettant la spécialisation du travail et, à travers elle, des classes sociales différenciées.
Cependant, les personnes qui ont construit le cimetière de Lothagam North étaient de simples bergers. il n’y a aucune preuve qu’ils avaient une société à plusieurs niveaux. Leur lieu de sépulture suggère plutôt qu’ils étaient tous égaux aux yeux de leur société.
Selon Elizabeth Sawchuk de l’Université Stony Brook et de l’Institut Max Planck pour la Science de l’Histoire Humaine :
Cette découverte remet en question les idées antérieures sur la monumentalité. En l’absence d’autres preuves, Lothagam North fournit un exemple de monumentalité qui n’est pas lié de façon évidente à l’émergence de hiérarchie, ce qui nous force à considérer d’autres récits de changement social.
Cette découverte pourrait amener les historiens à redéfinir la façon dont nous comprenons l’émergence de sociétés complexes.
Les auteurs écrivent que Lothagam North a probablement été construit au cours d’une période de profonds changements. Le bassin du Turkana était peuplé de divers groupes de pêcheurs-chasseurs-cueilleurs, mais des groupes d’éleveurs ont commencé à s’installer dans et autour du bassin. Ainsi, d’une part, ces nouveaux arrivants ont apporté d’importantes innovations, de la chasse à la cueillette jusqu’à l’élevage. Dans le même temps, la région a connu une baisse du niveau des précipitations, ce qui a entraîné une réduction du lac Turkana de 50 %, explique l’équipe.
Il est donc possible que les bergers aient construit le cimetière comme un lieu où les gens se réunissent pour former et maintenir des réseaux sociaux afin de faire face aux importants changements économiques et environnementaux.
Selon Anneke Janzen, coauteure de l’étude :
Les monuments ont peut-être servi de lieu de rassemblement, de renouvellement des liens sociaux et de renforcement de l’identité communautaire. L’échange d’informations et l’interaction par le biais d’un rituel partagé peuvent avoir aidé les bergers mobiles à naviguer dans un paysage physique en évolution rapide.
Il a fallu plusieurs siècles pour que le pastoralisme (élevage extensif) dépasse la chasse et la cueillette comme principale source de subsistance dans le bassin, et pour que le lac se stabilise. Après cela, cependant, le cimetière a cessé d’être utilisé, confirmant ainsi l’hypothèse de l’équipe.
Selon Hildebrand :
Le Lothagam North Pillar Site est le premier site monumental connu en Afrique de l’Est, construit par les premiers éleveurs de la région. Cette découverte nous amène à reconsidérer la façon dont nous définissons la complexité sociale et les motifs qui poussent des groupes de personnes à créer une architecture publique.
L’étude publiée dans The Proceedings of the National Academy of Sciences : A monumental cemetery built by eastern Africa’s first herders near Lake Turkana, Kenya et présentée sur le site de l’Institut Max Planck pour la Science de l’Histoire Humaine : Massive Monumental Cemetery Built by Eastern Africa’s Earliest Herders Discovered Near Lake Turkana, Kenya.
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